1023311/05/1979VIENNE
Un bon outil pour certains
Aux mains des patrons pour la CFDT qui réclame une gestion paritaire
La médecine du travail est-elle une médecine de patrons ? Fait-elle au contraire le maximum pour préserver la santé des salariés ?
Dans notre département, elle est gérée par l’Association des services médicaux du travail de la Vienne, dont le conseil d’administration est composé uniquement d’employeurs, et qui tient son assemblée générale aujourd’hui même.
Il existe une commission départementale de contrôle (et des sous-commissions), où siègent des représentants des salariés, et qui a examiné le mois dernier l’activité de l’Association pour 1978,
Une organisation syndicale, la CFDT, a souhaité rendre public l’essentiel des interventions qu’elle a faites devant cette commission, et qui mettent en cause sur plusieurs points le fonctionnement du service de la médecine du travail dans la Vienne.
Nous avons parallèlement demandé à M. Creuzé, président de l’Association, de répondre à ces observations et revendications. C'est un sujet que nous ne pouvons épuiser ici, mais qui doit retenir l’attention des salariés aussi bien que des employeurs.
Sur le sujet, nous explique un militant membre de la commission de contrôle, la CFDT a une position de fond : la Médecine du Travail devrait agir mieux qu’elle ne le peut actuellement sur les effets psychologiques et physiologiques causés aux travailleuses et travailleurs, mais aussi avoir les moyens d’intervenir au niveau des causes de ces troubles de santé, c’est-à-dire les conditions et l’organisation du travail dans les entreprises.
« Ce n’est pas le cas pour plusieurs raisons : la mauvaise volonté ou le barrage de certains employeurs, qui considèrent la médecine du travail comme un obstacle à la bonne marche de l’entreprise et pas seulement dans les petites. Certains l’écrivent, mais c’est sous-jacent dans de nombreuses discussions avec les médecins, que l’association devrait soutenir contre les pressions, et dont elle devrait protéger l’indépendance. Un médecin - il l’a écrit dans son rapport annuel - sous couvert d’une modification de secteur imposée par la Direction du Travail, a été écarté par un employeur qui avait enfreint plusieurs fois la législation... ».
Pour M. Creuzé, « il n’y a pas de pressions et les médecins agissent avec une parfaite indépendance ». Il en voit plusieurs garanties : « ils n’ont pas un employeur mais en quelque sorte 7.000... ».
D’ailleurs, dans chaque secteur géographique, ils se répartissent eux-mêmes les entreprises. Mais, il est vrai qu’il peut y avoir des divergences de vues, qui sont normales.
« Il se peut que le médecin ne soit pas assez « formé » en matière de vie des entreprises, et nous nous efforçons de leur fournir une formation permanente ; il se peut aussi que l’employeur soit plus ou moins coopératif, et il est vrai qu’on peut regretter que l’association n’ait pas les moyens de faire appliquer certaines choses. Mais, il faut rappeler que si le médecin a un rôle de conseil, nous n’avons pas la possibilité juridique de faire exécuter ces conseils. Chaque entreprise fait cependant l’objet d’une fiche à la disposition de l’Inspection du Travail.
« En tout cas, poursuit M. Creuzé, sauf cas de faute grave, il n’y a pas de mesure de déplacement comme celle que vous évoquez. S’il y en avait eu, d’ailleurs, le médecin aurait pu faire appel au directeur du Travail ou au médecin-inspecteur régional du Travail. S’il y a quelques mouvements, c’est qu'un nouveau décret - que d’ailleurs nous appliquions déjà sur ces points dans la Vienne - rend obligatoires la sectorisation et le tiers-temps consacré par les médecins à l’étude des postes de travail, d’où une modification des effectifs... ».
Un quart d’heure
Ce tiers-temps, justement, qui devrait permettre aux médecins de faire un travail davantage préventif, la CFDT souligne qu’« il n’est pas réellement effectué ».
« Cela supposerait un renforcement des effectifs, puisque déjà toutes les visites d’ateliers ne sont pas faites avec la régularité nécessaire, étant donné le nombre important d’entreprises à la charge de chaque médecin ».
L’association, réplique son président, n’a pas d’ordre à donner aux médecins dans le domaine médical, l’organisation de leur temps de travail est de leur responsabilité.
« Nous, nous leur donnons les moyens de consacrer le tiers de leur temps à l’examen des conditions de travail : ils ont à visiter entre 2.300 et 3.200 salariés, à raison d’un quart d’heure en moyenne pour chacun, faites le calcul car ailleurs ils sont conseillers non seulement des employeurs mais aussi des salariés et de leurs représentants : c’est aux utilisateurs, aussi, de les solliciter... ».
Tout le calcul repose, évidemment, sur le quart d’heure annuel moyen pour chaque salarié. L’association, qui ne contrôle pas l’emploi du temps des médecins, maintient qu’un réel travail préventif est fait.
Les médecins, en tout cas, auraient encore moins de temps si, comme le souligne ensuite la CFDT, les visites de reprise du travail (après accident où maladie) n’étaient « toujours rares », si les visites d'embauche n’étaient faites « avec des retards de quatre, à neuf mois » et si la périodicité annuelle des visites était respectée.
« C’est de la seule responsabilité des employeurs, répond M. Creuzé. Le décret applicable début 1980 précise certaines choses dans ce domaine et pour notre part, nous préparons un dépliant rappelant leurs obligations aux employeurs, et une campagne de sensibilisation ».
Le secret médical
« Pour une meilleure médecine du travail, nous avons demandé, déjà l’an dernier, que l’association soit paritaire, poursuit le représentant de la CFDT, il nous semble inadmissible que les salariés, et leurs syndicats, soient exclus de la direction d’une association censée s’occuper de leur santé au travail, aux mains des seuls patrons ».
M. Creuzé répond : L’Association de la Vienne a été créée en 1946 par les employeurs, elle fonctionne avec les seules cotisations patronales (0,35 % du salaire plafonné), les employeurs, le président et le directeur sont seuls responsables devant la loi : il est donc normal qu’elle soit gérée par les employeurs. Une assemblée générale extraordinaire demandée par les deux tiers des adhérents pourrait modifier cette disposition, mais cela n’a pas été fait, personnellement je n’en vois pas la nécessité car c’est un bon outil. D’ailleurs, le nouveau décret n’impose pas la parité, et seuls huit pour cent des services de notre association nationale sont à gestion paritaire ».
La commission de contrôle pallie-t-elle les insuffisances ?
« Elle ne nous donne pas satisfaction déclare la CFDT. On nous refuse de nous communiquer la liste des adhérents, on nous a refusé le droit d’assister aux Conseils d’administration et à l’assemblée générale, que nous considérions comme un premier pas vers la parité.
« La commission travaille sur des rapports qui sont le constat des faits passés. Mais, si un médecin, par exemple, constate la fréquence de telle maladie professionnelle, ou relève l’absence de Comité d’hygiène et de sécurité, on refuse de nous dire de quelle entreprise il s’agit...
« Où est le contrôle, alors que les médecins eux-mêmes n’ont déjà pas le pouvoir de faire passer leurs propositions dans les faits ? ».
Le président : « Nous n’avons pas à aller dire à qui que ce soit ce qui se passe dans telle ou telle entreprise. Ce n’est pas notre rôle. La décision finale appartient toujours au Directeur régional du Travail, sur avis du médecin inspecteur régional. Par ailleurs, le contenu des rapports médicaux touche au secret médical et de fabrication. Il n’est pas pensable qu’ils puissent être violés... ».
La CFDT voit là un retranchement derrière le secret qui arrange bien le patronat. Les refus qui lui sont opposés ne l’empêchent pas de multiplier ses revendications, sur le suivi de la santé des chômeurs, pour des études statistiques montrant le lien entre conditions de travail et santé (« dans les deux ans, grâce à l’informatique, nos études seront moins artisanales », précise M. Creuzé), pour une meilleure liaison avec la Sécurité sociale et une propagande systématique en faveur des centres d’examen de santé auprès des salariés, etc...
J.-P. Mercier
75.000 visites médicales
L’association (loi de 1901) des services médicaux du Travail de la Vienne, dont le siège est 24, rue Salvador-Allende à Poitier, intervient dans toutes les professions.
Elle emploie 21 médecins à temps plein et un vacataire, qui travaillent dans six centres fixes correspondant aux six secteurs : Poitiers, Châtellerault, Loudun, Montmorillon, Chauvigny et Civray.
Trois semi-remorques sont utilisés pour les localités trop éloignées de ces centres ou ne disposant d’aucun local approprié.
5.645 entreprises adhérant à l’association, totalisant 64.920 salariés. En 1978, les médecins du Travail ont effectué 75.000 visites médicales.
le 22/07/2023 à 13:27
Source : La Nouvelle République du Centre Ouest
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