0101903/05/1919POITIERS
Le Parti socialiste de Poitiers a organisé, à l'occasion du premier mai, une série de conférence de propagande dans tous les quartiers de la ville.
La « grande première » a été donnée hier soir, à 8 heures et demie, dans l'ancienne chapelle de l'ancien séminaire.
Le conférencier ? Un vieux militant du parti socialiste à figure sympathique de vieil ouvrier endimanché. Le citoyen Rolland est un spécialiste des réunions publiques.
Il parle au peuple de sa langue tantôt souple, tantôt hardie et imagée. Le citoyen Rolland n'est pas un de ces farouches révolutionnaires au langage violent qui se contentent de tonitruer contre la société capitaliste et préfèrent, aux paroles mesurées de la raison, la fureur de la passion, qui se contentent de tonitruer contre la société capitaliste et préfèrent aux paroles mesurées de la raison les fureurs de la passion. Le citoyen Rolland parle avec calme, rarement avec chaleur, sauf quand il fait effort sur lui-même à s’exciter Et comme il garde son sang-froid il arrive qu’il dise des choses sensées.
Le public ? Nombreux, de sept à huit cents personnes, quelques femmes, public de prolétaires, cheminots, ouvriers du bâtiment, employés des postes ; de ci de là, disséminés dans la foule, quelques-uns de ces modestes que, dans les milieux socialistes, on appelle pourtant les bourgeois. Public, dans sa grande majorité, nettement acquis aux idées socialistes, cela il ne faut point se le dissimuler.
Le camarade Audinet, secrétaire de la Bourse du Travail, déclare la séance ouverte. Le bureau suivant est élu par acclamation : président, Audinet ; vice-présidents, Orry et Couvrat ; secrétaire, Meunier.
Avant de présenter l'orateur le citoyen Audinet se félicite des progrès obtenus par l'organisation du prolétariat et invite les travailleurs de tout ordre à se grouper pour assurer le triomphe de leurs « légitimes revendications, Après quoi le citoyen Rolland va nous dire qu'elles sont les légitimes revendications du prolétariat.
Il constate tout d'abord naturellement avec plaisir que la journée de huit heures, pour laquelle le parti socialiste a lutté pendant plus de quarante années, vient d'être votée et va entrer immédiatement en application. Elle permettra à l'ouvrier de parfaire son éducation et de faire celle de ses enfants. Il pourra enfin goûter les joies du foyer qui, jusqu'alors, lui avaient été refusées.
Mais les ouvriers ne se contenteront pas de la journée de huit heures qui ne peut être qu'un premier pas dans la voie de l'amélioration du sort du prolétariat. Les perfectionnements de la production, chaque jour nouveaux et plus importants, leur permettront de demander de nouvelles réductions de la durée du travail quotidien. Nous allons vers des temps où la machine doit remplacer, dans les problèmes de la production les véritables « esclaves » des temps modernes. Un jour viendra où les travailleurs ne seront plus que les cerveaux chargés de faire marcher les machines.
Le citoyen dit ceci qui est très juste : « Le principal effort du prolétariat doit tendre maintenant à obtenir l'instruction, aux frais de l'État, des enfants du peuple jusqu'à l'âge de 16 ans ; la seule infériorité de l'ouvrier sur le bourgeois est son manque d'instruction. Il faut que tous les enseignements, primaires, secondaires et supérieurs, soient ouverts à la classe ouvrière. Le prolétariat trouvera dans l'instruction la meilleure arme pour conquérir le pouvoir ».
En passant le citoyen Rolland, dont les paroles provoquent l'indignation du bolcheviste Barré, déclare très nettement que l'indépendance nationale est la première liberté qu'il convient d'assurer et c'est pour l'assurer que le prolétariat français a versé son sang sans compter dans l'effroyable guerre pour la justice et le droit.
Mais les groupements socialistes doivent veiller à ce que les combattants d’hier aient maintenant une situation meilleure que celle d’avant la guerre.
« Nous avons largement contribué à la victoire, sans y être directement intéressés, par pur idéal patriotique, mais il ne faut pas que cette victoire profite aux seuls capitalistes. Les capitalistes ont été d’ailleurs les plus épargnés par l’effroyable cataclysme ; plus près du pouvoir, ils pouvaient en obtenir les faveurs »
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Le citoyen Rolland continue : « le prolétariat doit se préparer à la conquête du pouvoir ».
Deux visions d’avenir : Ou bien les capitalistes réussiront à sortir de l’impasse financière où leur politique d’expédients les a conduits. Alors de même qu’autrefois les nobles féodaux avaient attirés à eux toute la fortune publique et tout le pouvoir, de même les aristocrates modernes de l’argent draineront à eux toute la puissance de l’État, ils se mangeront entre eux et bientôt il ne restera plus que quelques grandes têtes que le peuple n’aura qu’à « souffler ».
Ou bien, et le citoyen Rolland le croit fermement, les capitalistes ne seront pas capables de solutionner les difficultés financières. Ils pourront tout au plus retarder la redoutable échéance. Et alors par la force des choses, les socialistes seront appelés à prendre les rênes du pouvoir.
Révolution ? Non. Attente du moment opportun pour s’emparer du pouvoir, de la manière la plus facile.
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Après le citoyen Rolland l'internationaliste Barré vient lire un papier. Barré, qui avait déjà pris la parole à la conférence Thomas, fait appel aux mêmes violences, la lutte des classes doit être la seule politique du prolétariat, un bon vent d'est souffle, soyons bolchevistes. Après quoi Barré adresse à la France un certain nombre d'injures qui provoquent tout de même quelques protestations.
Le camarade Martin, secrétaire du syndicat des cheminots s'étonne qu'une manifestation plus grandiose n'ait pas été organisée. Mis directement en cause M. Audinet riposte qu'il n'avait pas, en effet, cru que les syndicats récemment fondés auraient organisés le chômage, mais il réparera sa faute l'an prochain.
En fin de séance le citoyen Meunier lit l'ordre du jour suivant :
« Les travailleurs poitevins, réunis à l'ancienne chapelle du Séminaire, au nombre d'un millier à l'occasion du 1er mai, après avoir entendu les citoyens Audinet, secrétaire de la Bourse ; Rolland, délégué permanent du parti socialiste ;
« remercient et félicitent les conférenciers des renseignements et conseils qu'ils leur ont donné ;
« décident de se grouper de plus en plus sous les bannières de la C.G.T. et du parti socialiste afin de lutter pour améliorer davantage leur sort et demandent l'application rapide de le loi des huit heures. Protestent contre l'impôt sur les salaires qui, à l'heure actuelle, atteint surtout la classe prolétarienne. Protestent également contre la vie chère qu'un gouvernement ne veut pas enrayer.
« Réclament l'amnistie pleine et entière en faveur de tous les délits militaires et en faveur de tous les camarades enfermés dans les geôles de la troisième république pour avoir proclamer hautement la pensée ouvrière.
« Réclament également la levée de l'état de siège.
« Demandent la constitution de la Société des Nations qui, seule, peut empêcher le retour des guerres ; demandent l'abolition de toutes les armées de terre et de mer.
« Demandent la conclusion de la paix le plus rapidement possible et la démobilisation immédiate.
« Protestent contre l'intervention armée en Russie.
« Envoient leur salut à tous les révolutionnaires de Russie, d'Allemagne, d'Autriche, de Bulgarie et d'Égypte.
« Protestent énergiquement contre le verdict de classe rendu par le jury de la Seine qui, en acquittant l'assassin de Jaurès, a lancé un défi à toute la classe ouvrière.
« Se séparent aux cris de "A bas le régime capitaliste ! Vive l'internationale ouvrière !" ».
La réunion se termina par une chanson du citoyen Barré - qui possède tous les talents - « Révoltez-vous, ... jouissance, ... amour -. tels sont les seuls mots qui nous parviennent.
L'assemblée se disloque aux accents de l'Internationale.
le 06/05/2020 à 18:26
Source : L'Avenir de la Vienne
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