1100920/05/1981POITIERS
Avant tout « une affaire de dignité »
La grève au garage Brillant, route de Nantes à Poitiers, commencée mardi de la semaine dernière, a connu hier une accélération et un durcissement. Comme nous le laissions entendre hier, à la suite de l’échec de la réunion de lundi soir, les grévistes ont dès hier matin durci leur position, en adoptant une forme particulière d’occupation de leur lieu de travail : ils empêchaient toute entrée de véhicule depuis l’extérieur vers les ateliers.
Les grévistes et les représentants du syndicat CFDT, présents sur place, invoquaient la présence de plusieurs véhicules à réparer sur le parc intérieur, pour nier toute entrave à la liberté du travail ou gêne à la clientèle. Dans l’atelier, les deux ou trois ouvriers non-grévistes travaillaient effectivement, de même que le personnel de bureau et la sortie des voitures n’était pas empêchée.
Cependant, le chef d’entreprise a réagi sans attendre et porté l’affaire sur le terrain judiciaire : il faisait constater la situation par un huissier et dès le début de l’après-midi les grévistes et le secrétaire de la CFDT étaient assignes en référé devant le Tribunal de Grande Instance, pour 17 heures. Procédure ultra-rapide donc, dite « heure sur heure », dont la direction attendait qu’elle débouche sur une ordonnance d’expulsion, au besoin avec le concours de la force publique.
Et c’est effectivement ce que demandait Me Priolleau, représentant M. Brillant, devant le président du Tribunal. Sans contester l’exercice du droit de grève, il relevait que celui-ci « dégénère en l’espèce en voie de fait, à partir du moment où il y a entrave à l’accès de la clientèle, donc au droit du travail ».
Représentant des grévistes, Me Rivaillon est intervenu sur le fond pour préciser qu’aucun salarié n’est empêché de travailler et que « le trouble commercial est inhérent à l’exercice du droit de grève ».
Mais surtout, il a plaidé l’incompétence du Tribunal de Grande Instance dans ce type de conflit, depuis la loi du 18 janvier 1979 instaurant le référé prud’homal. Il s’agit en effet, selon lui, d’un conflit individuel puisque le droit de grève est un droit individuel. Le défenseur s’appuyait notamment sur un arrêt du 1er octobre 1980 de la Cour d’Appel de Poitiers, tranchant en ce sens une affaire semblable à La Rochelle. En tout état de cause, ajoutait-il, les conflits collectifs doivent être portés devant une instance d’arbitrage.
Sous réserve de sa compétence, le président du Tribunal a fait observer que « le droit de grève est réglementé », et que cette réglementation n’autorise pas la paralysie de l’entreprise autrement que par la cessation du travail. Le Tribunal rendra sa décision ce matin à 11 heures.
La goutte d’huile…
Dans un secteur d’activité et dans un type d’entreprise où les conflits sont rares et déclenchée au surlendemain de l’élection présidentielle, cette grève revêt un intérêt particulier qui n’échappe sans doute ni aux salariés qui se trouvent dans une situation semblable, ni aux syndicats, ni aux milieux patronaux. Ces derniers, en particulier, pourraient être tentés d’y voir un « test », ou la volonté de créer une sorte de foyer de contagion de la part d’un syndicat qui appelle à la « mobilisation sociale » depuis les présidentielles.
Le secrétaire régional de la CFDT dément toute intention de ce genre : « le syndicat, appelé par les salariés, a comme toujours tenté de faire prévaloir la négociation et la conciliation. La grève n’est due qu’à l'intransigeance du patron ».
Les grévistes eux-mêmes confirment qu’ils ont pris seuls leur décision. L’élection d’un président de gauche a « redonné le moral » à quelques-uns, mais la grande majorité affirme que la politique n’a rien à voir avec ce conflit. Il remonte au début de l’année, époque où certains ont essayé, par la voie syndicale de s’organiser pour améliorer un peu leur situation :
« Nous n’avons jamais pu nous faire entendre. La direction de cette entreprise, à laquelle nous avons pourtant pas mal donné puisque nous avons contribué aux travaux de construction et d’agencement, n’est pas du genre à accepter la discussion, dit l’un d’eux. Un autre ajoute : « Il y a pourtant bien des choses à revoir, à commencer par le règlement intérieur où le patron prétend régenter la longueur des cheveux et l’entretien de la barbe ! ».
Bref, ce qu’ils sont unanimes à réclamer, « au nom de la dignité et du simple respect », c’est d’être entendus. Mais pas seulement cela : ils réclament 400 francs d’augmentation pour tous et nous annoncent, par exemple, des salaires, pour 43 h 75 par semaine, de 2.600 francs pour un professionnel sans CAP, mais avec trois ans d’ancienneté, ou de 3.600 francs avec CAP et après neuf ans de présence. Et surtout, l’annulation du licenciement de l’un d’eux, qui s’était mis en avant dans la revendication, pour « un bidon d’huile renversé dans le coffre d’une cliente ». C’est la goutte d’huile qui a fait déborder le bidon… De même hier le garage a été « occupé » parce que la veille le patron avait annoncé son intention de recruter quatre nouveaux pour faire le travail des grévistes.
A en juger par ces déclarations, l’affaire n’a rien d’un conflit monté de toutes pièces. Hier, en tout cas, la détermination des 13 grévistes sur 27 salariés (une partie des administratifs et les vendeurs qui ont des conditions de travail fort différentes, ne sont pas dans l’action), n’étaient en rien entamée par l’épisode judiciaire et le soutien financier s’organise autour de la CFDT.
Nous aurions souhaité développer parallèlement le point de vue de la direction, mais M. Brillant n’a pu trouver le temps de nous l’exposer hier, sauf pour nous dire qu’il ne refusait pas la négociation « à preuve la réunion de lundi soir ». A quoi les grévistes répliquent que la seule réponse à leurs revendications fut alors la mise à disposition, pour un ouvrier handicapé, d’un tabouret jusque-là égaré, et « qu’on peut se moquer du monde, mais jusqu’à un certain point seulement... ».-
J.-P. MERCIER
le 27/09/2023 à 19:46
Source : La Nouvelle République du Centre Ouest
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