1120928/11/1981CHATELLERAULT
Après le vote du personnel le 2 novembre, on pouvait penser qu’il n’y avait plus que des formalités à accomplir pour que le redémarrage de l’usine métallurgique de Domine, à Naintré, devienne effectif : par 130 voix contre 90, les salariés avaient accepté ce jour-là les conditions des repreneurs - le groupe Elf-Aquitaine et ses partenaires - c’est-à-dire un effectif de départ de 128 personnes. .
Restait pendante la décision de l’Inspecteur du Travail, M. Berthau, appelé à statuer sur la demande de licenciement, par le syndic, des personnels protégés par la loi du fait de leurs mandats. Sa décision tombait jeudi : il refusait le licenciement de 11 des 16 personnes concernées. Cette décision a fait l’effet d’une bombe et provoqué des réactions très violentes à la fois des repreneurs et des salariés. Une démarche du syndic devrait toutefois ramener le calme, au moins provisoirement.
Pour être précis, l’Inspecteur du Travail était saisi de la demande de licenciement de 17 personnes. L’une d’entre elles n’était pas « protégée » par la loi. Sur les 16 autres cas, l’Inspecteur a autorisé le licenciement de deux anciens délégués du personnel et celui de trois autres personnes sous réserve qu’elles puissent bénéficier de la garantie de ressources (leur cas est donc suspendu à la signature de la convention avec le Fonds national de l’Emploi). Par contre, il refusait le licenciement des onze autres, soit : 4 élus du comité d’entreprise (titulaires ou suppléants), 5 délégués du personnel (titulaires ou suppléants), 1 ancien élu restant sous protection (son mandat ayant expiré depuis moins de six mois) et 1 membre du comité d’hygiène et de sécurité. Parmi eux, dix élus CGT et un CGC (qui pour l’anecdote a déjà commencé un stage de formation et ne souhaite nullement retourner dans son ancienne entreprise...).
Aussitôt connue, cette décision a provoqué une réaction des partenaires qui constituent la nouvelle société : ils considèrent que les termes du contrat ne sont plus remplis, puisqu’on leur imposerait un effectif supérieur à celui qu’ils se sont engagés à reprendre (139 au lieu de 128). Les sociétés en question, Solétanche, Foraid, Foraco, SIF-Bachy et Elf-Aquitaine, manifestaient dès hier auprès du syndic leur volonté dans ces conditions, de revenir sur leurs engagements. A l'appui de cette position, elles peuvent faire valoir le fait qu’elles ont déjà accepté de reprendre un certain nombre d’élus et de représentants syndicaux du personnel, dont le secrétaire et le trésorier du Comité d’entreprise, ainsi que le délégué syndical CGT. Elles considèrent donc que le Comité d’entreprise n’est nullement démantelé.
De son côté, l’Inspecteur du Travail, qui nous déclarait hier avoir décidé « tout a fait souverainement » a justement fondé sa décision sur « l’opportunité de laisser en place et en fonctionnement » les instances représentatives du personnel que la diminution de l’effectif ne remet pas en cause. Le fait de passer de 290 à 128 salariés, en particulier, ne modifie pas la composition du Comité d’entreprise.
« Désaveu... »
Plus étonnante sans doute, du moins pour les personnes étrangères à l’entreprise, est la réaction du personnel lui-même… Il semble bien qu’une grande majorité des 128 salariés repris par la société nouvelle ait vu dans cette décision un désaveu et une remise en cause du vote du 2 novembre. Aussitôt informés de la menace de retrait des repreneurs, ces salariés ont considéré que c’en était fait de leurs espérances et se sont retrouvés sous la menace d’une fermeture de leur usine. D’autant que l’offre des repreneurs signifiée au syndic était stipulée valable jusqu’au 30 novembre.
Sans doute ne faut-il pas négliger non plus une manifestation de « rejet » de ces syndicalistes dont la réintégration se trouvait ordonnée, alors que certains les rendent responsables des malheurs de l’entreprise. Toujours est-il que ces personnels se constituaient dès hier en « comité de défense » et nous faisaient parvenir un communiqué très violent où ils faisaient part de leur « grande stupéfaction » et s’en prenaient à l’Inspecteur du Travail accusé de « jouer les licencieurs... en désavouant le vote démocratique des travailleurs... dans sa décision dirigée et intolérable ». Ils en appelaient aux élus et aux pouvoirs publics pour demander « l’annulation immédiate et avant le 1er décembre de cette décision scandaleuse ».
Une lettre ouverte au ministre du Travail et des délégations auprès des responsables poitevins de l’administration appuyaient hier cette réaction.
De son côté, la CGT tire une conclusion très noire, confirmant ses craintes, dit-elle, sur deux points essentiels : dans le domaine social la suppression de 163 emplois, du transport, de la cantine, etc... et une perte de pouvoir d’achat de 12 % ; sur le plan industriel ensuite : plan de relance sans contenu, carnet de commandes vide, absence de direction (administration provisoire), achats de matière première bloqués, aucun plan d’investissements... La CGT considère cette situation comme « la conséquence directe de la rupture des négociations volontairement provoquée par une fraction de personnes dont les mobiles relèvent du règlement de comptes ». Elle évoque la démagogie, les mensonges, les calomnies et la discrimination syndicale la plus odieuse et se pose en soutien des forces de progrès appuyée sur son « projet de relance » dont le sérieux est reconnu par tous les partenaires ».
Un sursis
Le syndic Me Munaux, toujours en situation de « chef d’entreprise » ne pouvait évidemment rester inactif dans cette situation. Il était hier à Paris et il fut bien sûr saisi de la réaction des repreneurs. Il nous faisait savoir en fin de journée :
« - qu’il avait obtenu des futurs repreneurs qu’ils sursoient à toute décision définitive, dans la perspective des résultats du recours hiérarchique auprès du ministre du Travail ;
« - qu’il s’est rendu au ministère du Travail où il a déposé séance tenante un recours hiérarchique, tendant à l’annulation de la décision rendue par l’Inspecteur du Travail ;
« - que l’attention a été attirée sur l’extrême urgence de la décision à intervenir du fait de la situation actuelle de l’entreprise. Il apparaît que cette démarche a été bien comprise et qu’une décision devrait intervenir aussi rapidement que possible, compte tenu des nécessités de l’enquête.
En attendant, le syndic invite chacun à garder son calme ».
Sera-t-il entendu ? On peut le penser dans la mesure où, comme il nous le précisait, la date du 30 novembre n’est pas juridiquement impérative pour le démarrage de la nouvelle société mais seulement contractuelle et où ils suspendent leur décision à celle du ministre du Travail.
le 18/10/2023 à 16:28
Source : La Nouvelle République du Centre Ouest
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