1155931/07/1982MONTMORILLON
Journée importante hier dans la crise que traverse l'entreprise Ranger. La réunion extraordinaire du comité d’entreprise au cours de laquelle il devait se prononcer sur le plan de reprise et les licenciements qui l’accompagnent, pouvait déboucher sur des réactions « incontrôlées » du personnel. Le climat oscillait entre l’appréhension et la colère contenue. En fait, cette consultation des représentants du personnel s’est transformée en une simple « mission d’information » : le plan de reprise industriel n’a pas été présenté comme à prendre ou à laisser. Bien au contraire, la détermination des salariés semble avoir imposé sinon sa remise en cause, du moins son renvoi pour études et explications complémentaires. La solution est donc repoussée de quelque temps, et dès lors le projet de coopérative retrouve des chances d’être davantage pris en considération, ce qui est expressément exigé par le personnel.
Le jour même de la fermeture de l’usine et du départ en congés, les salariés de Ranger n’avaient donc encore aucune perspective certaine pour la rentrée. On sentait bien hier matin à Montmorillon, où plusieurs centaines d’employés de diverses usines s’étaient rassemblés, que la journée serait importante. Ils attendaient (de pied ferme mais sans agressivité particulière) les « mandataires de justice » qui sont en Droit leurs nouveaux patrons dans cette passe difficile, pour une présentation au comité d’entreprise du plan de reprise arrêté par les pouvoirs publics : M. Stackler, du cabinet de Me Lafont, administrateur judiciaire, accompagné de M. Pringaud et M. Marié du cabinet Meille, syndic. Avaient également fait le voyage, Mme de Boissy pour les conventions FNE (Fonds national de l’emploi) et un membre du cabinet Bossard qui a réalisé l’étude sur l’état de santé du groupe CFM.
Il n’était pas loin de midi lorsque s’ouvrit ce qui devait n’être qu’une première réunion. Et un peu plus d’une heure lorsque les membres du comité d’entreprise (auxquels s’étaient joints les directeurs d’usines et deux VRP) vinrent rendre compte de ce qui leur avait été présenté. Les mandataires de justice avaient confirmé le schéma de reprise que nous avons publié mercredi : le « groupe de financement » baptisé Société internationale d’ameublement, serait constitué pour un tiers de sociétés de développement régional, un tiers de banques, un tiers de partenaires industriels (notamment une filiale de Michelin et une filiale de Gauthier).
Les deux-tiers des quarante-cinq millions d’investissements prévus seraient consacrés à la modernisation de l’outil de travail de Ranger, dont toutes les activités seraient maintenues et resteraient à Montmorillon.
Mais les effectifs de Montmorillon passeraient de 698 à 448, ceux de Saulgé de 146 à 139, ceux de Chauvigny (SIM) de 123 à 75, l’établissement de Bonneuil-Matours (25 salariés) serait supprimé et les salariés « hors-Vienne » passeraient de 60 à 23. Soit 233 licenciements et 134 pré-retraites. Le détail des licenciements, même s’il n’était pas nominatif, était précisé. Mais le CE n’a pu se faire préciser à quels projets industriels ou commerciaux correspondaient ces modifications d’effectifs. Pas plus, semble-t-il, qu’il n’obtenait d’assurances fermes sur les investissements et les perspectives des « repreneurs ». De sorte que ce plan fut considéré comme un « brouillon », un « recueil de données manuscrites et non signées, émanant seulement d’un cabinet d'étude ». Les mandataires de justice ont confirmé qu’ils n’avaient pas participé à son élaboration,
La menace du conflit social
L’ordre du jour prévu fut alors bouleversé, les deux parties convenant de se retrouver en début d’après-midi pour uniquement prendre acte de ces données, et formuler un certain nombre d’exigences. L’attente fut encore longue pour le personnel qui, tout en comprenant qu’il venait sans doute d’obtenir un sursis, et peut-être même de renverser la situation en redonnant toutes ses chances à la coopérative, n’en discutait pas moins avec fébrilité les suppressions d’emploi, comme si elles étaient effectives.
On peut aujourd’hui les considérer comme un simple projet. Le procès-verbal stipule en effet que le comité d’entreprise demande un complément d’informations immédiates, complètes et écrites, sur ce projet. Qu’il ne participera à une prochaine réunion qu’après avoir obtenu des garanties sur « le maintien de l’intégralité du personnel et des établissements » (l’autre partie a souhaité pour sa part la présence à cette future réunion du candidat industriel).
Le CE demande en outre un rendez-vous au plus haut niveau (le ministre de l’Industrie) pour défendre le projet de SCOP « qui permettrait un redémarrage cohérent préservant l’emploi). Et attire l’attention des pouvoirs publics sur « le conflit social inévitable », qu’entraînerait la non-prise en compte de ces demandes.
Les congés payés seront réglés avec un peu de retard. Et l’usine ne fermera pas complètement ses portes, puisqu’à l’issue de la réunion d’hier des listes ont circulé pour établir un « piquet » de permanence pendant tout le mois d’août. Il est probable d’ailleurs qu’ici ou à Paris, d’autres réunions auront lieu durant ce mois : pour que Ranger ne perde pas sa place sur les différents marchés, il importe que le redémarrage soit effectif au 1er septembre.
Risque politique
M. Cartraud nous confirmait hier que ce projet industriel, mis au point après de très nombreuses études, est « solide et sérieux ». Si des suppressions d’emploi sont inévitables, il doit permettre, à terme, la relance de la production et donc de l’emploi. Les pouvoirs publics prendront-ils le risque politique d’un conflit social pour imposer ce qu’ils considèrent comme un impératif industriel ? Ou la « détente » probable en août amènera-t-elle des conditions plus favorables à un compromis ?
En tout cas, M. Esgleas, venu hier sur place s’informer des derniers événements, conteste la logique industrielle de ce projet : pour lui, il vise à conforter le concurrent Lafa en éliminant le secteur tables et chaises de Ranger. Un secteur dont « l’assainissement » est commencé depuis trois ans et que le projet SCOP propose de convertir en abandonnant les produits bas de gamme où se pratiquent des prix « suicidaires ».
Il n’est pas opposé à priori à une solution de groupe mais considère que la SCOP peut davantage préserver l’emploi. Et souhaite voir disparaître « les craintes qu’inspire cette structure dans certaines sphères politiques... ».
Photos : M. Stacker, représentant de l’administrateur judiciaire Me Lafont, qui a présidé la réunion du comité d’entreprise : un accueil « réservé »…
M. Esgleas, ancien directeur et « inspirateur » de la solution coopérative : un accueil chaleureux...
le 13/11/2023 à 18:43
Source : La Nouvelle République du Centre Ouest
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