0118723/07/1920POITIERS
La deuxième semaine de grève des typographes est commencée depuis samedi. La Presse de Poitiers continue et continuera tant qu'il sera nécessaire à être l'indispensable et unique organe d'information de relation pour l'opinion poitevine.
Le 14 juillet, une nouvelle entrevue a eu lieu entre délégués des syndicats patronal et ouvrier. Elle n'a pu que laisser constater la volonté formelle des imprimeurs de s'en tenir à leurs propositions précédentes qui correspondent à tout l'effort financier permis par les conditions actuelles de travail dans la profession. Toutefois, par dernière mesure conciliatrice, les ouvriers ont été laissés libres de choisir la majoration uniforme de 33 p. 100 des salaires actuels ou de composer cette majoration avec un supplément horaire fixe et une indemnité de vie chère révisable tous les trois mois par la commission paritaire. Le contrat à intervenir restait fixé à une année.
A ces dernières offres, le syndicat ouvrier a répliqué par les exigences suivantes :
- Acceptation pour les hommes des 33 p. 100 de majoration, mais contrat de six mois seulement ;
- Pour les femmes, majoration de 50 p. 100 et substitution du calibrage alphabétique au calibrage à l'n, ce qui représente 12 p. 100 de majoration supplémentaire.
Le syndicat patronal avait trop minutieusement fixé les limites de ses possibilités financières pour ne pas rejeter purement et simplement de pareilles bases d'accord. C'est ce qu'il a fait à l'unanimité ayant, en outre, décidé que, si le 22 juillet le travail n'avait pas repris, les majorations ne partiraient que du jour des rentrées effectives.
Sans vouloir transformer en polémique de presse une question d'ordre économique et professionnel, il apparaîtra que des conditions qui assurent aux éléments les plus inférieurs d'une profession 16 fr. par jour pour 8 heures de travail, et paient aux femmes 1 fr.15 ce qui leur était payé 0 fr. 35 avant la guerre, accordent suffisamment la justice et les nécessités matérielles de la vie.
La durée d'une année fixée comme minimum au nouveau contrat ne semblera pas sans doute abusive quand on saura que, dans l'imprimerie, la plupart des travaux sont à longue échéance et que les éditeurs ont besoin d'être garantis plusieurs mois pour les prix de revient avant d'engager toute impression un peu importante. L'insistance que mettent les ouvriers à ne point vouloir se lier au-delà de décembre indique d'ailleurs assez nettement leur intention de recommencer après cette date une agitation qui, aujourd'hui, ne leur aurait donné que des résultats estimés par eux insuffisants.
On voit quelles complications de pareils soucis introduiraient dans l'exercice d'une industrie que tant de causes matérielles chargent déjà lourdement.
On regrette de discerner du côté syndicaliste ouvrier une conception unilatérale de l'intérêt professionnel qui risque de compromettre gravement l'avenir même de l'imprimerie à Poitiers, en le sacrifiant à quelques avantages immédiats.
Il nous est pénible de revenir sur une, constatation qui a montré que ce n'est pas là une calomnie. Les imprimeries sont parmi les industries locales les plus éprouvées par le cyclone de samedi dernier, la plupart des ateliers étant totalement ou partiellement sous vitrages. On a pu voir que chez un seul de nos confrères, les ouvriers sont venus s'offrir à nettoyer l'outillage gravement endommagé.
Hélas ! le Syndicat tient à nous faire savoir aujourd'hui que cette démarche ne fut point spontanée. Il fallait que la défaillance au devoir fût complète et qu'aucune minorité, si restreinte qu'on la suppose, ne maintînt le principe de paix sociale qui veut que des hommes vivant des mêmes travaux aient sensibles certaines difficultés communes. Le Syndicat approuve cela et veut qu’on le sache, et rectifie quand on croit trop vite à un minimum de chevalerie chez trois de ses membres.
Ce geste élémentaire d'entraide, dans un malheur public, qui pouvait s'accomplir en laissant intactes toutes les revendications en discussion, a été refusé par toute une corporation. La solidarité pour la sauvegarde des instruments, si naturelle, si souhaitable, n'a pas joué ici. Dans l'esprit de la totalité des grévistes, la question économique qu'ils débattent s'est effacée devant la lutte des classes qui fait sans doute que pour eux, la ruine d'un matériel ne les atteint pas.
Une telle déviation du sens professionnel montre assez que les doctrines que traduisent des mouvements comme celui que nous subissons ne sont pas toutes d'ordre économique. Les imprimeurs de Poitiers trouveront là une raison de plus de croire à la justice de leur attitude en considérant quels graves intérêts généraux sont en jeu et mis en péril à leur occasion.
le 18/05/2020 à 13:23
Source : La Presse de Poitiers
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