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0119011/08/1920POITIERS

APRÈS LA GRÈVE DES TYPOGRAPHES

La grève des ouvriers typographes a pris fin hier matin. Elle aura duré 30 jours.

On a pu voir que les ouvriers et ouvrières du Livre ont accepté les conditions mêmes que leur offraient les imprimeurs avant le conflit, soit une majoration générale de 33 % sur le tarif de 1919-1920 avec contrat d'une année. Ces quatre semaines d'arrêt du travail se résument donc pour les ouvriers dans la perte sans compensation d'un chiffre important de salaires et, pour les chefs de maisons, dans la perturbation d'un long chômage brusquement décrété.

Aucune concession n'ayant été faite par le Syndicat patronal, la décision des ouvriers de reprendre le travail revêt l'aspect d'une défaite. Le mot de « vaincus » a d'ailleurs été prononcé par les grévistes. Il signifierait que pour certains les conditions nouvelles seraient subies sans cet esprit de pacification qui fait que, des intérêts d'apparence contradictoires ayant été librement débattus, il ne reste plus chez les deux parties en opposition qu'un mutuel désir de réparer les conséquences de leur dissentiment.

Et cela serait un des pires résultats qui pût suivre ces tristes semaines. Il y a sans doute, parmi certain des typographes revenus hier matin à leur casse quelque inclination à croire que les imprimeurs ont enregistré leur succès avec le désir d'en écraser ceux en qui, malgré des divisions encore toutes vives, ils voudraient retrouver des collaborateurs. Ils ont tort. Pour toute sorte de raisons, générales et particulières, il faut que les signatures échangées soient des signatures de concorde et d'union pour un labeur que compliquent assez les difficultés matérielles sans qu'on y ajoute les antagonismes professionnels.

Est-il trop tôt pour qu'on médite sur un conflit qui a pris de proportions d'effectifs et de durée auxquelles Poitiers n'est pas habitué ? La grève qui vient de se clore n'est qu'un des multiples épisodes d'une situation générale troublée par les rigueurs de la vie économique. Les revendications qui en furent l'origine étaient partiellement justifiées par la nécessité sociale et morale de l'ouvrier de trouver dans son travail les ressources complètes et suffisante de son foyer. Cet élément de justice fut accepté dans toute la proportion où il pouvait l'être par le groupement patronal. Cette proportion n'était pas aussi élevée que l'exigeait le syndicat ouvrier. Il y a une limite dans les salaires qui ne peut être dépassée sans que soit diminuée ou tarie la source même du travail. Tous les efforts de discussion ont tendu à faire admettre ce point de vue élémentaire, d'où dépendaient les intérêts mêmes qu'on prétendait défendre.

Il s'est, en effet, établi la tendance à peu près générale chez les syndicats ouvriers de considérer leurs revendications comme un programme impératif érigé en loi préalable de leurs accords avec les syndicats patronaux, Ils ont été amenés à cette conception un peu simpliste à la foi par l'intransigeance de certains patrons hostiles par principe à toute action corporative ; et par la faiblesse de certains autres incapables de sacrifier un bénéfice immédiat à un intérêt plus vaste. Cette méthode avait remporté un succès total à Poitiers l'an passé. Elle eût joué avec la même âpreté dans la dernière grève si du côté patronal ne s'était affirmée nettement dès le début la volonté de résister à des demandes qui imposaient à l'imprimerie locale des dépenses hors de proportion avec ses moyens de production.

Et le mal est que précisément ces motifs qui commandent cependant les intérêts généraux d'une profession laissent à peu près indifférents les ouvriers qui en vivent. Ceux-ci n'admettent pas - ou du moins leurs organisations syndicales le disent - qu'un patron tienne compte par exemple des conditions particulières qui l'obligent à limiter ses prix de revient sous peine de voir le travail émigrer vers des centres que leur proximité plus grande de la capitale rend moins onéreux. Leur conception ne sort pas d'une formule générale et uniforme que des imprimeurs poitevins n'auraient pu appliquer sans voir les quitter des travaux que les ressources strictement locales sont ridiculement insuffisantes à remplacer, Dans la résistance qui leur est opposée, ils voient une obstination égoïste, une routine sans excuse. Si cette résistance finit par avoir le dernier mot, ils se soumettent avec humiliation, donc avec ressentiment.

En réalité il n'y a du côté patronal que la réaction nécessaire du réalisme professionnel contre la théorie pure à laquelle un certain syndicalisme prétend subordonner l'activité économique du pays. Ajoutons, d'ailleurs, que les égoïsmes patronaux eux-mêmes compliquent le problème. Trop souvent le désir des industriels parisiens d'annuler la concurrence leur fait souhaiter Je triomphe des exigences ouvrières provinciales. Il en résulte, pour des conflits identiques dans leurs causes et leur, fond, des solutions contradictoires d'apparence inexplicable, et pour les éléments violents l'espoir de glisser leurs espérances à travers ces divisions.

Toutes ces nuances ont joué plus ou moins dans la grève qui vient de finir. Les propositions du syndicat patronal n'ont finalement triomphé que parce qu'elles correspondaient aux possibilités financières de la profession. La fermeté n'était ici que la raison et la justice.

C'est parce qu'ils en étaient persuadés que les chefs de maison se sont refusés à la participation de tout élément extérieur au cadre même du conflit. Les typographes ont voulu voir une marque de défiance et d'orgueil dans le refus persévérant qui leur fut opposé d'admettre leur délégué central aux discussions de la commission mixte. Qu'eussent-ils pensé si leurs patrons avaient exigé la présence d'un imprimeur parisien ?

En réalité il s'agissait d'un différend local que les organisations en cause avaient seule qualité pour traiter parce que seules elles en connaissent les conditions complètes. Le bon ordre économique et social est intéressé à ce que les questions professionnelles soient ainsi rigoureusement discutées par les groupes qu'elles intéressent pratiquement et immédiatement. Que les Comités centraux soient gardés comme organes de conseils et de direction générale, soit. La présence de leurs représentants dans les tractations, quels que soit les bons désirs qu'ils disent apporter, ne peut qu'entraver la liberté des conversations et introduire des préoccupations étrangères à l'objet précis du débat.

Quelques choses utiles ont donc été remises à leur vraie place au cours de ces semaines de grèves. C’est en quoi elles n'auront pas été tout à fait stériles. Les semeurs d'idées fausses ou diviseuses ne manquent pas de dire que Poitiers vient de voir une victoire du patronat sur le prolétariat, et dans leur pensée l'idée d'une revanche s'impose. Cela est vrai en apparence. Mais est-ce attendre trop du bon sens d'une corporation qui compta toujours parmi les plus intelligentes et les plus éveillées au réalisme économique que de lui demander de voir surtout le résultat pacificateur d'un arrangement qui,' consenti sans autoritarisme tyrannique, peut être accepté sans ressentiment et sans humiliation.'

Il restera ensuite à reprendre une collaboration loyale pour un travail qui s'inscrit dans la grande activité réparatrice de la guerre. La tâche est assez urgente et assez vaste pour que toutes les bonnes volontés s 'y consacrent.

Maurice Vallet.

 

 

le 18/05/2020 à 13:40

Source : La Presse de Poitiers

grève, patrons, réaction

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