« Retour

0120822/11/1920POITIERS

UN MEETING SOCIALISTE

Depuis que la Chapelle de l’Ancien Séminaire leur a été retirée les socialistes doivent se contenter, pour leurs conférences, de la salle Gentilleau, salle excentrique cachée au fond du mystérieux et sombre cul-de-sac Radegonde qui donne à ces réunions l’allure de je ne sais quelle assemblée de conspirateurs.

Hier soir, environ quatre cents citoyennes et citoyens avaient répondu à l’invitation commune de la C.G.T., du parti socialiste et de la Ligue des Droits de l’Homme. Le bureau fut ainsi constitué : président le camarade Audinet, secrétaire de la Bourse du Travail ; assesseurs la citoyenne Mandon, institutrice, et le camarade Orry, le doyen des militants du parti socialiste.

Après qu’il eut fait un appel en faveur de la Révolution russe, le camarade Meunier annonça que le ténor de la troupe – le camarade Paul Faure, directeur du Populaire, s’était « défilé » au dernier moment. Sans doute avait-il trouvé que le légendaire placidité des Poitevins ne convenait point à son talent violent et batailleur. J’en fus navré car son éloquence est grande, paraît-il.

La déception de l’assistance était réelle ; qui parlait au nom du parti ? Si encore Barré était là !

Mais le voilà ! Vive Barré ! Hip, hip, hip, hurrah ! Barré, son travail terminé, a enfourché sa bicyclette et il a couvert, en un rien de temps, les 25 kilomètres qui séparent Montreuil-Bonnin de Poitiers.

Ce Barré, c’est un type tout de même et je vous avoue, sans ironie, que je l’admire. Je l’admire parce que c’est un dévoué, un convaincu ; il a toutes les audaces et tous les courages ; il ne craint ni le froid, ni la pluie, ni la fatigue ; il a un tempérament de missionnaire ; il a la foi lui aussi ; la foi qui sauve et qui soutient. Il lit, il étudie beaucoup me disait-on hier ; il paraît même que les soirs de relâche il répète, il s’entraîne à parler dans sa chambre de prolétaire tout comme le grand Démosthène. C’est possible et s’en moquer serait ridicule et injuste car les efforts individuels, quels qu’en soient les résultats, méritent le respect. D’autres prétendent qu’il prépare surtout son élection au Parlement et qu’il songe bien plus à ses succès personnels qu’au triomphe de ses idées ; quelques mauvaises langues sans doute.

Le citoyen Barré s’est hier indigné de ce la France renie ses traditions révolutionnaires et est devenue la forteresse de la réaction mondiale. Peut-être pour la première fois de sa vie, il a admis que certains bourgeois n’étaient pas insensibles aux idées de progrès démocratique et de justice sociale.

Le camarade Dumercq, du syndicat des métallurgistes de la Seine, qui le succède à la tribune, est un homme à la carrure imposante ; il est d’une extrême violence, mais c’est un violent à froid ; il a lu à peu près tout ce qui a été écrit sur la guerre et il en tire quelquefois les arguments les plus imprévus.

Nul n’a le droit, a t-il dit, la République française moins de tout autre, de s’immiscer dans les affaires de la Russie. Tel est le thème qu’il a développé pendant plus d’une heure d’horloge.

La propagande socialiste, pour faire éclater la vérité, doit s’adresser à trois sortes de citoyens :

D’abord « ceux qui s’en foutent » c’est la grande foule, amorphe, veule, moutonnière, qui fait les majorités, et que les partis s’arrachent. Il faut secouer l’indifférence des masses.

Ensuite ceux qui raisonnent et discutent mais dont la grande presse a empoisonné l’esprit critique par la diffusion quotidienne de ses mensonges et de ses perfidies.

Enfin les porteurs de fonds d’État russe qu’on a trompé sur les intentions de Lénine et Trostsky.

L’orateur fait l’historique, de son point de vue, de la montée réactionnaire et France, des fautes de notre politique de guerre, de la déconfiture du peuple russe. Les jésuites et les cléricaux, les états-majors et les gouvernements, la (…) et la haute finance en prennent pour leur grade. (…) Clémenceau un vieux criminel, de Castelnau un vieux misérable, Foch et Nivelle des assassins ; seul le maréchal Pétain a droit à un respect et à l’admiration de M. Dumercq qui a eu le G. Q. G. de Jean de Pierrefeu.

En fin de meeting l’ordre du jour suivant est adopté à l’unanimité :
« Les citoyennes et citoyens réunis le 18 novembre au nombre de 400 sur l’invitation commune de la C.G.T., du parti socialiste et de la Ligue des Droits de l’Homme ;
« Après avoir entendu les citoyens Meunier, Barré et Demercq, quels que soient leurs sentiments respectifs sur les formes et les méthodes de la Révolution russe, déclarent illicites, contraires au droit des peuples, à l’esprit de la démocratie, aux prescriptions mêmes du traité de Versailles :
« 1° L’intervention militaire directe ou indirecte dans l’organisation politique et sociale du peuple russe ;
« 2° La prolongation du blocus qui a frappé cruellement des populations sans défense ;
« 3° L’envoi d’hommes, d’armes ou de munitions pour exercer indûment une pression sur ce pays ;
« 4) La reconnaissance officielle du gouvernement Wrangel.
« Ils dénient au gouvernement et au Parlement le droit d’engager la France dans une action militaire en dehors des formes imposées par notre constitution et par nos lois.
« Ils ne peuvent admettre que, par ces abus d’autorité, la République Française apparaisse au monde comme reprenant la guerre de la Sainte Alliance contre l’émancipation des peuples et se pose en champion mondial de la contre-révolution.
« Par-dessus les frontières ils adressent leur salut fraternel au peuple russe et demandent que dans la paix rétablie les relations normales soient reprises avec la grande nation dont l’effort de production manque tant au monde.
« En conséquence ; ils font appel à tous les citoyens jaloux de conserver à la France l’attitude que lui commandent les souvenirs de la Révolution française et cinquante ans de République, ils les invitent à peser de toute leur action sur les pouvoirs publics pour mettre fin au plus tôt à une situation dont l’équivoque fait injure à notre pays.
« Profitant de ce qu’ils sont assemblés, les citoyens présents demandent la libération des militants emprisonnés, la réintégration des révoqués, l’amnistie pleine et entière et ils protestent contre l’entreprise militariste qui vise à accabler le pays sous le fardeau de la loi des deux ans ».

L’assemblée écoute debout l’Internationale chantée par le citoyen Barré – le chantre et prédicateur socialiste – qu’accompagnait au piano M. Meunier fils.

Une fois de plus le prolétariat russe et la révolution mondiale auront été sauvés.

Sketch.

 

 

le 18/05/2020 à 17:46

Source : L'Avenir de la Vienne

conférence, meeting, CGT, revendication

« Retour

Espace Militants v0.3 - UD CGT 86 - http://cgt-ud86.org

Site UD 86 - Espace militants - Espace formation