1241808/06/1984POITIERS
Drôle d’endroit que ce comité local de l’emploi de Poitiers, drôle de partie qui se joue à trois - élus politiques, patronat et syndicats de salariés - sans que les règles soient bien définies et où personne n’a jamais rien gagné. Après deux années de ce fonctionnement surréaliste, au rythme d’une réunion tous les deux mois environ, les joueurs ont fini par se lasser. Au programme de la séance de ce jour à l’Hôtel de ville figure en effet un seul point : « Finalité et objectifs du comité ». Les circonstances donnent à penser que la réunion pourrait être décisive, qu’elle débouche sur un enterrement, un retour à la case départ ou, dans l’hypothèse la plus optimiste, un nouveau départ. Un rapide tour d’horizon nous a permis sinon de dévoiler les intentions des uns et des autres, du moins de rappeler leurs analyses respectives.
Une chose est certaine : continuer comme par le passé relèverait de « l’acharnement thérapeutique », selon le mot de l’un de nos interlocuteurs.
La mise en place du comité, à partir de janvier 82, fut laborieuse. Il a fallu plusieurs mois au patronat et aux syndicats pour se mettre d'accord sur la composition du CLE. Et d’autres encore, d’accrochages en professions de foi, pour que les syndicats renoncent à aborder les cas particuliers d’entreprises, qu’elles soient ou non en difficulté, devant le refus réitéré de l’union patronale.
La composante politique, à supposer qu’elle en ait eu la volonté, n’avait pas le pouvoir de faire pencher la balance puisqu’au départ le comité avait décidé que toute initiative devrait faire l’unanimité.
Résultat : toute l’année dernière, le comité est resté une « chambre d’enregistrement », un lieu d’échange d’informations sur des données que les participants pouvaient tout aussi bien se procurer ailleurs, à commencer par les statistiques du chômage.
A peine a-t-on demandé à l’ANPE quelques chiffres sur mesures, sans en tirer d’enseignement. Et le secrétariat mis à disposition par la ville n’a guère été sollicité, quelle que soit la composante assumant la présidence (tournante chaque semestre).
Le comité a reçu et entendu des invités sur les aides aux entreprises, le projet de Civaux, les aides aux travaux économisant l’énergie. Quelques tentatives ont été faites pour avancer sur un terrain concret, émanant toutes de syndicats : proposition de recherche de subventions, de lettre aux entreprises sur les contrats de solidarité, de lettre aux maires les incitant à rechercher des économies d’énergie. Aucune ne devait aboutir, et chaque fois le refus viendra de l’union patronale.
On comprend qu’un sentiment de stérilité se soit emparé des participants, dont le nombre a d’ailleurs fondu au fil des mois...
Faut-il déjà en tirer une conclusion négative, ou tenter de repartir sur des bases assainies ?
A vide
Le comité de Poitiers n’est pas le seul dans cet état, ceux de Châtellerault et surtout de Montmorillon ont également sombré dans un coma comparable. Mais comme le montre une brochure déjà ancienne du ministère du Travail, d’autres ont une action positive.
Sans chercher plus loin, celui de Parthenay a su s’ouvrir à des « consultants » utiles (enseignants, banquiers) et trouver un mode de fonctionnement en commissions qui lui a permis de se manifester. Sinon de réaliser lui-même des projets, du moins de les susciter et de les impulser (stage créateurs d’entreprise pour jeunes chômeurs, étude sur la sous-traitance). Il est intervenu à la SOVAM pour y éviter un conflit, et a contribué à la permanence 16-18 ans.
Le CLE de Poitiers n’a jamais réussi à manifester la moindre présence à l’extérieur, la moindre existence.
CGT et CFDT invoquent « le blocage systématique du patronat, un blocage de nature politique ». Une attitude qui serait spécifique à la Vienne et que traduirait le fait que l’union patronale est représentée aux réunions par le même permanent, et non par des hommes de terrain, des chefs d’entreprises « qui ne seraient pas là pour répéter les thèses du CNPF ».
Il est reproché au patronat local d’avoir paralysé le comité sans vouloir prendre la responsabilité de l’achever.
A l’union patronale, on renverse en quelque sorte la proposition pour revenir à une position de principe que les autres appelleront un a-priori : « Nous nous sommes opposés aux quelques projets avancés parce qu’ils n’étaient pas de la compétence du comité, ou parce qu’ils étaient inutiles, à l’évidence ».
L’UPV ne voit pas ce que le comité pourrait faire qui ne soit déjà assumé par une autre instance. Et ne reconnaît guère à ce lieu supplémentaire de « bavardage », du bout des lèvres, qu’une utilité : « avoir fait quelque peu progresser chez certains élus la connaissance du monde des entreprises ».
Du côté de la municipalité, on lui reconnaît aussi la vertu d’avoir amélioré la « qualité d’écoute », mais plutôt entre les autres partenaires...
Une fois dépassé le stade des affrontements passionnés, cependant, aucun enjeu ne s’est dégagé, sans doute à cause de la nature particulière du « tissu économique et social » de l’agglomération, mis en évidence récemment par l’enquête-diagnostic réalisée à la demande de la ville (poids du tertiaire et de la fonction publique en particulier). Adapter le rôle du comité et son fonctionnement à ces conditions particulières pourrait être l’un des moyens de le désenliser.
La CFDT fait le même constat sur la nature du « terrain » et ses conséquences sur la difficulté, pour tous les partenaires, de dégager « des propositions économiques originales ».
La CGT, sans illusion, ne veut pas pratiquer « la chaise vide », mais avant de pousser ses propositions qui consisteraient notamment à faire travailler le comité sur des branches d’activité, elle attend que « tout soit clair sur ce que chacun veut y faire ». A son goût, les élus ne se sont sans doute pas impliqués suffisamment. Mais surtout, elle ne s’attend pas à ce que le patronat « accepte ici le dialogue qu’il refuse dans les entreprises... ».
Autant de considérations qui inclineraient plutôt au pessimisme. A moins que le comité ne change de peau pour devenir autre chose qu’une institution tournant à vide. Autre chose qu’une institution ... Mais on a davantage le sentiment que chacun attend de l’autre qu'il abrège ses souffrances.
J-P M
le 14/02/2024 à 08:22
Source : La Nouvelle République du Centre Ouest
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