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1361315/01/1988POITIERS

MILLE ENFANTS DE MARCEL PAUL

Le tribunal débordait largement dans la rue hier pour l’affaire opposant le militant cégétiste de l’EDF, Patrick Bellivier, à son chef de centre M. Lardy. Dès 14 h, près d’un millier de syndicalistes venus de la Vienne et des Deux-Sèvres se pressaient avec banderoles et haut parleur sur les marches du Palais. Et tandis qu’à l’intérieur la justice déroulait son processus immuable, dehors, le porte-parole de la CGT Francis Martin développait ses propres arguments, estimant que Patrick Bellivier est victime, en l’occurrence, d’une « véritable machination ». « La CGT, a-t-il tenu à souligner d’emblée, ne vient pas troubler la sérénité des débats mais démontrer face à l’opinion publique la réalité des faits... On ne traite pas les dirigeants de la première centrale syndicale comme des malfaiteurs... ».

Et Francis Martin de mettre le patronat en garde : « Ce n’est pas parce qu’il se sent pousser des ailes qu’il va pouvoir régner à sa guise... ».

Deux heures plus tard, à la sortie de Patrick Bellivier, les manifestants levaient le siège et se dirigeaient vers la préfecture où une délégation était reçue par le chef de cabinet. Un retraité de Melle, Claude Bare, meublait l’attente en entonnant la chanson « Les enfants de Marcel Paul » écrite en hommage au ministre communiste du général de Gaulle qui fut la premier président d’EdF en 1945 après la nationalisation.

Peu après, la délégation réapparaissait en précisant qu’elle avait remis au représentant du préfet une pétition revêtue de 3.500 signatures et une centaine de télégrammes. Le commissaire de la République en personne est sollicité par la CGT pour servir de médiateur dans ce différend.

Le procès d’un « corbeau » ou de la CGT ?

Les faits ? Le 14 septembre 1986, M. Lardy, directeur EDF à Poitiers (sur le conseil de son avocat, Me Menegaire) portait plainte pour le préjudice physique (et moral) et le stress, que lui causait une série d’appels téléphoniques anonymes et nocturnes, le « correspondant » se contentant de faire décrocher le combiné, sans un mot... Les services techniques des Télécoms mirent alors la ligne de M. Lardy sur écoute, et c’est ainsi qu’un appel dans la nuit du 24 septembre (à 0 h 30) et un autre dans celle du 26 septembre (à 22 h 26), émanaient du poste du domicile de M. Patrick Bellivier.

L’accusé conteste fermement avoir été présent à son domicile, le 26, et en fournit des attestations ; par contre, il reconnaît avoir été chez lui le mercredi soir (le 24) : « Je suis totalement étranger à ce type d’action... J’ai vingt ans de syndicalisme et à la CGT et ce n’est pas notre type d’action.
- Le président : la CGT n’avait-elle pas engagé une action vigoureuse à EDF, le 10 septembre ?
- L’accusé : c’est vrai ; mais pas pour ce genre d’action, que je dénonce d’ailleurs et qui n’a rien à voir avec nos luttes ».
Alors ? Personne n’ayant accès à la ligne de M. Bellivier, qui a bien pu « donner » ces deux coups de fil ?
- L’accusé : « Ça prouve simplement que je suis victime d’une machination...

La partie civile : le stress jusqu’à la crise cardiaque

Me Menegaire, partie civile, insistera sur la genèse de l'affaire qu’il place sur le terrain du conflit social ; le plan de restructuration du responsable EDF ayant provoqué un tollé syndical, une campagne de tracts, et une hostilité ouverte contre M. Lardy : « Ne laissons pas de répit à la direction... ». L’avocat explique l’attaque cardiaque dont fut victime M. Lardy, le 23 septembre, par toutes ces pressions et actions et rattache les « coups de fil nocturnes » à cette « stratégie ». Il stigmatise au passage « la lâcheté du procédé ; ignoble et inadmissible ».

Pour Me Menegaire, la fiabilité du contrôle PTT est totale et il conclut : « Ce n'est pas un délégué syndical que vous avez à juger, mais un homme, coupable de coups de fil anonymes ; c'est le respect de la personne humaine qui est en jeu ». Le franc symbolique, seul, est réclamé, Me Priolleau, demandant le remboursement des frais engagés par la Sécurité sociale.

La défense : « Contre l’amalgame »

Tout cela n’est évidemment pas l’opinion du défenseur, Me Lévy, qui, d’entrée de plaidoirie (une heure) souligne que « la relaxe s’impose ». Le défenseur s’élève contre ce qu’il appelle « le procès de la CGT » car son client, M. Bellivier a la conscience tranquille ; ce n’est pas lui qui a donné ces deux coups de fil. L’impact réel, sur la santé de la victime n’est qu’un amalgame entre une fragilité cardiaque préalable et des conditions professionnelles particulières. Sans mettre en cause la fiabilité du contrôle, l’avocat évoque un piratage de la ligne de M. Bellivier « aux fins de lui nuire » ce dernier ayant constaté des dérangements pendant cette même période. « Canard enchaîné » et « Huissier au conseil supérieur de la magistrature », autant de « cas » démontrant que d’autres peuvent se « brancher ». Les tracts ? « Il y a là une exégèse inadmissible ».

Avec la défense, la « victime » véritablement change de camp. « Mon client a été victime d’un guet-apens destiné à discréditer la CGT », conclut Me Lévy.

Le tribunal se donne quinze jours de réflexion pour remettre les victimes à leur place, et rendre son jugement (au 28 janvier), le réquisitoire s’étant borné à demander une amende de 8.000 F dont 4.000 F avec sursis.

R-G Caummaut

Photo : La CCT apportait massivement son soutien à Patrick Bellivier, ici en compagnie de son avocat Me Alain Lévy

 

 

le 10/06/2024 à 15:54

Source : La Nouvelle République du Centre Ouest

justice, délégué, procès

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