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1401530/06/1989POITIERS

PREMIER ROUND D'UN PROCÈS SYNDICAL

Deux ouvriers de chez Aubin poursuivis pour séquestration de cadres. L’audience tourne à l’affrontement. Renvoi au 5 juillet

La partie de bras de fer continue entre le PDG de l’imprimerie Aubin de Ligugé et la CGT à la faveur des poursuites judiciaires engagées contre deux ouvriers, Patrick Chatet et Gilbert Lacourcelle. Dernier épisode en date : la manifestation qui a eu lieu hier après-midi sur la place Leclerc tout d’abord puis devant le palais de justice alors que les deux syndicalistes comparaissaient à l’intérieur pour séquestration de cadres.

Les faits remontent à octobre 1988 : 80 ouvriers de l’entreprise avaient fait irruption en pleine négociation salariale et s’étaient comportés de telle façon que deux cadres s’étaient sentis séquestrés.

« Pas du tout, rétorque Gilbert Lacourcelle. Mais le long couloir donnant accès à la pièce faisait entonnoir ». La direction avait alors décidé la mise à pied de Patrick Chatet qui occupe des responsabilités syndicales dans l’entreprise et engagé contre lui une procédure de licenciement qui s’était brisée sur une opposition de l’Inspection du travail.

Dans le même temps, une plainte était déposée au tribunal ce qui vaut aux deux salariés Chatet et Lacourcelle de comparaître en justice.

A cette occasion, la CGT a organisé une manifestation régionale de soutien à laquelle ont participé quelque deux cents personnes. On y rencontrait des ouvriers du Livre, certains venus par exemple de Bordeaux, mais aussi des travailleurs d’autres secteurs : hospitaliers, enseignants (le secrétaire départemental de la FEN était là).

Les représentants de la FILPAC-CGT et de l’Union départementale ont pris la parole pour flétrir l’action patronale dans cette affaire : « Nous appelons à répliquer fermement, souligne Francis Martin, secrétaire de l’UD CGT : on n’intimide que les faibles. Quand les travailleurs se dressent avec vigueur... ils ont les moyens de se faire respecter ». A noter que la CGT a diffusé une affiche accusant en lettres rouges photo à l’appui, « Aubin patron imprimeur à Poitiers » et détaillant les différents points de l’accusation.

L’audience telle un combat de boxe

Commencé à 17 h 30, le procès s’achève vers 21 heures sur un coup de théâtre. Après avoir accusé le président Gacougnolle de travestir les déclarations des prévenus, l’avocat parisien René Boyer, hors de lui, quitte dans un grand effet oratoire (et de manches) le prétoire, entraînant derrière lui les militants cégétistes venus assister au procès de l’un des leurs.

En fait, l’atmosphère était tendue dès le début de l’audience vers 14 h 30, à la suite d’une maladresse.

Les deux boxeurs, pardon les adversaires, ne se connaissent pas. Tranquillement, d’un air bon enfant, le président Gacougnolle salue la dernière audience du substitut Catherine Figreou. Tout le monde l’aime bien au palais et regrette son départ : elle est nommée au Tribunal de grande instance de Bordeaux. Mais le président s’énerve. Un petit homme en costume de ville discute avec l’huissier.
- « Monsieur, dit le président, vous m’empêchez de faire mon travail. J’ai une question à poser à l’huissier ».
- « Monsieur, répond le petit homme en tendant le jarret, je suis avocat et je viens ici plaider une affaire importante ».

D’entrée, le ton est donné. L’affaire qui viendra deux heures plus tard à la barre prendra vite des allures de tragi-comédie, après un flirt discret avec le vaudeville.

La présence de militants a de quoi alourdir l’atmosphère, mais l’enjeu est d’importance nationale.

Hors du ring un responsable de la CGT confie que le jugement risque de faire jurisprudence. « Si Chatet et Lacourcelle sont condamnés, dit le militant, on ne pourra plus rentrer dans une salle de réunion en usine pour négocier.

Aujourd’hui, « ils » veulent notre peau ».

Dès le départ, le match est très serré. D’un côté, le poids plume René Boyer qui n’arrête pas de sauter. De l’autre, le champion local Gacougnolle, qui n’a manifestement pas envie de se battre et qui veut rendre sereinement la justice. II en sera empêché tout au long par le petit avocat parisien qui défend un titre national.

La guerre des nerfs

Ça commence par la lecture des faits, l’interrogatoire des prévenus. Long, très long.

René Boyer, du barreau parisien, pose des questions à tout bout de champ. Petit à petit, il introduit le poison, frappe son adversaire au plexus, le président, dit-il, pose des questions aux prévenus et fait noter à la greffière les réponses qu’il juge bon de lui dicter. C’est grave comme accusation.

Les mêmes mots reviennent constamment dans la bouche de Me Boyer : « Je dois exiger que les propos qui sont tenus soient retranscrits fidèlement ».

Manifestement, le président Gacougnolle, qui avait à l’œil dès le début cet avocat haut comme trois pommes, est agacé. D’heure en heure, pourrait-on dire, le ton monte, puis retombe quand le cadre séquestré dit que pour aller uriner, avait dû demander l’autorisation à une femme, une ouvrière.

Les rires se transforment en bravos quand Me Boyer au comble de l’exaspération, s’apprête à quitte la salle. Le président dit qu’il fera évacuer au prochain incident.

Inévitablement, le second incident arrive. Me Boyer place un uppercut et envoie le président au tapis. L’avocat exige une fois de plus que les propos soient transcrits fidèlement. La salle applaudit à tout rompre.

Le président demande l’évacuation.

« Si c'est ça la justice, s’exclame Me Boyer, c’est inacceptable. On s’en va ».

Renvoi au 5 juillet

Faute de combattants, le procès tourne court. Me Gilbert, bâtonnier en exercice, tente une ultime conciliation, fort de son rôle d’arbitre.

Le président Gacougnolle n’est pas complètement KO.

Une demi-heure après la suspension d’audience, il réintègre son fauteuil pour laisser tomber froidement : « A la demande de Me Boyer, fatigué et de M. le Bâtonnier l’affaire est renvoyée en continuation au mercredi 5 juillet à 9 heures ».

Ce jour-là, on saura peut-être si Patrick Chatet et Gilbert Lacourcelle ont réellement séquestré le 21 octobre les deux cadres de l’imprimerie Aubin à Ligugé, au cours de négociations salariales difficiles.

« Je joue la vie de deux hommes », a dit hier soir Me Boyer. Si Chatet et Lacourcelle sont condamnés, ils risquent de perdre leur place. Et la CGT, la face.

Gédé

 

 

le 25/08/2024 à 16:55

Source : La Nouvelle République du Centre Ouest

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