CGT

Se connecter

Francis Martin quitte son poste de secrétaire général de la CGT de la Vienne qu’il occupait depuis vingt ans, après être entré à la CGT en 1959. L’occasion de dresser le bilan de son action passée et de parler avenir

Nouvelle République : Pourquoi quittez-vous la tête de l’UD ?

Francis Martin : « Il faut changer de temps à autre d’horizon. Après 20 ans, on n’a plus grand chose de nouveau à apporter. On fête les 30 ans de mai 68, il y a donc aujourd’hui une génération qui s’éloigne. J’ai souhaité me dégager de cette responsabilité pour laisser la place aux jeunes. Aussi parce qu’après 6 à 7 congrès, avec le rythme de la vie actuelle, le stress, on se pose la question du changement ».

NR : Quel bilan dressez-vous de ces 20 années ?

Francis Martin : « Il existe une division des genres dans cette société entre ceux qui possèdent et ceux qui n’ont que leurs faibles moyens pour vivre. Aujourd’hui, on est dans un système d’exploitation de l’homme par l’homme. Ça nous amène à lutter avec plus de force et de conviction pour qu’il y ait plus d’humanisation. Il est possible de vivre autrement que d’exploitation.

En 20 ans, j’ai appris beaucoup grâce aux gens. J’ai été un secrétaire général propulsé mais je n’aurais rien été sans les syndiqués, les salariés, les rencontres que j’ai faites. Je me suis beaucoup battu pour les questions unitaires entre syndicats, pour créer les conditions d’avoir un rapport de force ensemble. Seule, la CGT n’est pas suffisante. Il faudra faire avec d’autres. Demain, ce sera un 1^er mai unitaire, ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps. La CFDT avec nous, ça va dans le bon sens. Mais il faut rester très humble, le changement ne se fait pas comme ça ».

NR : Qu’est-ce qui vous a le plus déplu pendant ces 20 ans ?

Francis Martin : « Même si, par moments, on peut comprendre le patronat comme individu, sous son masque apparent de gentillesse, il y a une rigueur dans son autorité, une domination qui m’ont toujours un peu excédé. Un patron reste un patron. Je n’ai pas trouvé d’amélioration de la part du patronat mais une aggravation de son attitude. Si mai 68 revenait, j’aurais la même arrogance vis à vis du patronat. Il est là, OK, mais il devrait avoir de la décence ».

NR : Quel est votre meilleur souvenir ?

Francis Martin : « J’ai beaucoup aimé les grandes luttes. A Civaux, autour des bidons pour se chauffer, les gens étaient là. Les filles d’Aubade à Saint-Savin qui ont dormi dans un vieux car pour améliorer leurs conditions de travail et leurs salaires. Les luttes de 1994 avec les occupations tous azimut, les toiles de tente à l’entrée des entreprises. C’est formidable et encourageant. Au moment où l’on crève, on a des ressources infatigables ».

NR : Qu’allez-vous faire maintenant ?

Francis Martin : « A 56 ans on n’est pas fini. Je vais laisser certains de mes mandats pour me consacrer à deux tâches importantes. La presse confédérale avec « L’Hebdo » où je vais être un animateur social en Poitou-Charentes. Et surtout apporter une vie syndicale et sociale dans la zone du Futuroscope, de Grand-Pont à Jaunay-Clan. Elle est hors norme, se caractérise par le non respect des conventions collectives, des accords d’entreprises, la précarité.

La CGT dans son ensemble va mettre tout en œuvre pour y pénétrer. On ne le fait pas en catimini, on y met les moyens humains. On va avoir des locaux, d’une manière ou d’une autre, on va ouvrir un pôle juridique. L’objectif est la conquête des forces nouvelles dans cette zone à la philosophie imprécise qui, pensons-nous, va doubler ses effectifs dans les dix ans. Elle compte actuellement 15.000 salariés, précaires compris. On va vers une petite ville ; impensable que le syndicalisme n’y soit pas présent. Ce serait contraire à la vie sociale et à l’intérêt des salariés. On m’a demandé d’ouvrir la voie. Pour moi, c’est un autre départ ».

Propos recueillis par Odile Moniot

Photo : Francis Martin, cégétiste depuis 39 ans