0179811/09/1933CHATELLERAULT
Samedi matin la délégation des chômeurs s’est présentée à l’Hôtel de ville. En l’absence de M. le Maire, parti à Paris pour un certain nombre de jours, le premier délégué a donné lecture au secrétaire général de la mairie de l’important rapport suivant :
Monsieur le Maire,
Nous avons rendu compte à nos camarades chômeurs, au cours de la réunion de samedi soir, des offres de travail qui nous avaient été faites, notamment de celle relative à des travaux de terrassement à effectuer près de Niort.
Bien que nous entrevoyions les inconvénients d’un tel genre de travail dans un lieu éloigné de toute agglomération et situé à une centaine de kilomètres du domicile de nos camarades ; bien que nous ne nous soyons pas dissimulé ce que voulait dire l’entrepreneur spécifiant « qu’il fallait des ouvriers réellement terrassiers pour travailler dans un terrain assez dur » nous n’avons pas hésité, dans le but de faire preuve de la meilleure bonne volonté, à inciter nos camarades à se faire inscrire pour aller travailler sur ce chantier.
Onze d’entre eux, dont quelques pères de plusieurs enfants, se sont faits spontanément inscrire.
Dans les renseignements qui nous avaient été fournis le prix de la pension était indiqué comme étant de 12 francs par jour.
Pour pousser le désir de bien faire jusqu’au bout, nous avons recommandé à nos onze camarades partant à Niort, d’éviter tout mouvement d’humeur et de s’efforcer de donner satisfaction à l’employeur.
Nous vous faisons ressortir que certains sont partis en laissant leur femme et leurs enfants presque sans argent, sinon sans argent complètement.
Or qu’ont constaté nos onze camarades à leur arrivée ?
D’abord pas de cantine à 12 frs par jour mais une « gargotte » située à 4 kms du chantier et dont le prix journalier était de 17 fr. 50.
Ensuite pas de lit pour se coucher. Songez que nos camarades ont dû passer la nuit en plein air, étendu sur une couche de paille.
Pas d’allocation spéciale non plus pour les enfants.
Les outils consignés à raison de 15 fr., chaque manche brisé étant mis à la charge de l’ouvrier
Enfin un travail excessivement dur, dans le roc, ne pouvant être exécuté que par des spécialistes.
Devant cette situation il ne leur restait qu’une chose à faire : regagner leur domicile, c’est-à-dire revenir à Châtellerault.
Vous comprendrez, Monsieur le Maire, que cette situation ne puisse se prolonger plus longtemps.
A notre réunion de samedi tous nos camarades chômeurs ont demandé que du travail leur soit procuré dans le nord du département, à la rigueur jusqu’à Poitiers.
Sans doute répondrez-vous que le chômeur n’a pas le droit de se montrer difficile. Nous n’en disconvenons pas, mais l’ouvrier qui n’a pas de travail continue cependant d’être un homme, un père de famille, mieux, pour la plupart un châtelleraudais d’origine ou d’adoption.
Il est indéniable qu’il y a actuellement à Châtellerault une crise de travail. Il vous appartient donc de traiter nos camarades en chômeurs peut être mais aussi en hommes, en pères de famille et de ne pas oublier qu’ils sont avant tout vos concitoyens.
Bien que vous ayez répondu comme il convient à notre appel, vous vous devez, M. le Maire, à faire encore mieux.
Il faut, dans le plus court délai, ou du travail qu’il soit possible d’exécuter et qui permette au chômeur, à moins de cas exceptionnels, de rentrer chez lui le soir, ou des secours. Mais en ce qui concerne les secours nous voulons, nous les premiers, éviter les abus ou la mauvaise utilisation.
Nous vous demandons d’abord que, tout en restant en nature, les secours soient plus étendus.
Nous savons qu’actuellement plusieurs de nos camarades sont dans un état voisin de la misère, sinon dans un état complet.
Aussi nous vous proposons la méthode suivante pour l’attribution des secours :
1° Inviter par une note dans la presse, tous ceux qui sont en état de chômage complet ou partiel à se faire inscrire au bureau de placement.
S’assurer qu’aucun certificat de complaisance n’a été délivré.
Demander au chômeur et autant que possible à sa femme, d’indiquer les besoins les plus pressants, soit en nature soit en espèces.
S’efforcer de donner satisfaction pour les secours en attendant d’avoir trouvé du travail lorsqu’on sera convaincu d’être vraiment en présence d’un chômeur digne de considération.
Nous acceptons d’ailleurs les conditions prescrites dans les règlements concernant les fonds de chômage votés par le Conseil municipal.
Nous vous offrons, M. le Maire, de faire cette enquête, soit seuls, soit en collaboration avec un employé de vos services. De toute façon vous pouvez être assuré qu’elle sera faite consciencieusement.
Nous sommes obligés de vous dire aujourd’hui, avec la dernière énergie, que nos camarades ne peuvent plus attendre plus longtemps et qu’il faut les aider beaucoup mieux qu’on ne l’a fait jusqu’à présent.
Tant au point de vue du travail qu’au point de vue des secours en nature ou en espèces, tout en reconnaissant que vous avez fait un effort, nous devons vous dire que nous considérons n’avoir obtenu qu’une aide ou des résultats très insuffisants.
Nous tenons donc à savoir aujourd’hui, à quelle date sera mis en exploitation la carrière de Poitiers dont on nous a parlé.
Nous tenons aussi à savoir dans combien de temps vous comptez mettre en chantier votre carrière du Sanital et combien d’hommes vous prévoyez pouvoir employer ?
Les bons de pain donnés lundi matin, à la suite de notre démarche, ont constitué un secours insuffisant et nous demandons soit de réserver un crédit vous permettant d’élargir les secours en nature soit de prendre immédiatement des dispositions pour mettre en application les fonds de chômage dont les règlements ont été votés en 1932 et en 1933.
Nous croyons savoir qu’il entre dans vos intentions de faire bénéficier de l’assistance aux vieillards quelques uns de nos camarades chômeurs âgés.
Nous vous remercions de votre intention, mais nous devons vous dire que ce secours - 50 fr. par mois – sera insuffisant, ces ouvriers n’ayant aucune autre ressource leur permettant de vivre.
A notre réunion de samedi, plusieurs de nos camarades nous ont signalé que certains ouvriers, embauchés comme chômeurs, n’avaient pas cessé, par la suite, d’être au service de la Ville depuis plusieurs mois.
On nous dit même que l’un d’eux a quitté volontairement son patron pour être embauché comme chômeur à vos services – car il arrive, M. le Maire, que les services dirigent un peu trop la ville de Châtellerault.
Certes, M. le Maire nous ne vous demandons pas le renvoi de ces ouvriers. Au contraire, s’ils sont vraiment des chômeurs, nous vous demandons de les conserver jusqu’à ce que vous leur ayez trouvé du travail par ailleurs.
Mais M. le Maire vous nous permettrez bien de dire qu’il y a parfois, dans votre administration, deux poids et deux mesures puisqu’il y a des chômeurs qui doivent se contenter de bons de pains, pendant que d’autre touchent un salaire quotidien de 28 fr. par jour.
A notre réunion de samedi nous avons également voté un ordre du jour, adopté à l’unanimité, pour vous demander de faire connaître au groupe des chômeurs, si vraiment vous avez déclaré que le chômage vous avait coûté 500.000 fr. l’an dernier, la décomposition en détail de cette somme.
Nous croyons pouvoir affirmer en effet, que ce n’est pas la ville seule qui a supporté cette somme de 500.000 fr. et nous estimons, d’autre part, que cette somme, si elle a été dépensée, a été mal utilisée.
Vous comprendrez M. le Maire, que nous vous posions nettement cette question et que nous réclamions instamment une réponse précise afin de dégager, devant la population châtelleraudaise, unanime à estimer que les impôts de tous ordres sont trop lourds, notre responsabilité et celle de nos camarades.
Nous allons demander au Conseil général de faire un effort pour soulager les villes – notamment la nôtre - mais nous devons néanmoins vous adresser, aujourd’hui le plus chaleureux et le plus pressant appel en faveur de nos camarades. Vous avez écrit vous-même qu’aucun chômeur ne serait laissé dans l’embarras.Des conversations ont ensuite eu lieu entre les délégués d’une part, le secrétaire général de la mairie et M. Garreau, chef de bureau, spécialement chargé de l’étude et de la solution des questions relatives au chômage, d’autre part.
De ces conversations il découle qu’on s’achemine, petit à petit, en notre ville vers une solution satisfaisante pour tous et qui aura pour principale caractéristique de ne pas engager de surcroît des dépenses.
Pour les ouvriers chômeurs non professionnels on s’efforce de leur trouver du travail dans la région.
Pour ceux qui possèdent une profession, on a mis à l’étude des offres d’emploi émanant de diverses villes et on pense être d’ici peu en mesure de fixer les intéressés.
La commission de contrôle du chômage a été convoquée à nouveau pour être tenue au courant.
Une carrière sera ouverte très probablement demain lundi 11 septembre au Sanital. Une dizaine d’ouvriers y seront employés.
L’adjudication pour la réfection de la route de Richelieu, dans la limite des crédits accordés, a eu lieu jeudi dernier.
Une clause fait obligation pour l’adjudicataire d’employer un pourcentage de chômeurs de la ville de Châtellerault.
On prévoit que les travaux pourront commencer le mois prochain.
La délégation du groupe de défense des chômeurs va continuer son action de concert avec les services de la Mairie.
Elle souligne avec plaisir, le dévouement et la bonne volonté de M. Garreau, chargé à la Mairie de la question du chômage et qui s’efforce de donner satisfaction à tous les sans travail.
Elle croit devoir conclure que, grâce à ses interventions, le problème du chômage a pris, à Châtellerault, une physionomie nouvelle, fort bien accueillie par les sans travail et n’apportant pas cependant de charges supplémentaires aux finances communales.
le 18/06/2020 à 19:11
Source : L'Avenir de la Vienne
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