0182014/01/1934POITIERS
Les ouvriers en chômage étant surtout des manœuvres travaillant dans les diverses corporations du bâtiment je demandais à M. Morineau, président de la chambre syndicale de Châtellerault des entrepreneurs, de réunir en assemblée commune les membres du conseil d’administration de ce groupement et les délégués des chômeurs afin d’unifier le point de vue des employeurs quant aux solutions à apporter à la crise du chômage.
La principale question qui se posa – elle se pose toujours du reste, mais nous le verrons plus loin – fut celle de l’emploi des ouvriers étrangers.
Je signalais aux entrepreneurs qu’à la réfection du pont des Ormes notamment, on employait 20 français et 15 ouvriers étrangers.
A cette objection M. Morineau, parlant au nom de ses collègues, répondit qu’il était absolument d’accord sur le principe mais qu’il convenait de souligner que le rendement de la main d’œuvre française était parfois insuffisant et que les ouvriers de notre pays avaient quelquefois tendance à se dresser contre le patronat.
Je dois dire pour être impartial que ce point de vue me fut confirmé, avec certains exemples à l’appui, par l’entrepreneur des travaux de réfection du pont des Ormes.
Mais c’est là une anomalie à laquelle il n’est peut-être pas impossible de remédier. En tout cas sans vouloir transgresser les règles d’hospitalité qui doivent régner dans un grand pays comme le nôtre, il n’est pas possible d’admettre que des ouvriers étrangers prennent en grand nombre les emplois que de consciencieux ouvriers français ne demanderaient pas mieux que de tenir et que, pendant ce temps, ce soit l’État, les départements ou les communes – par conséquent toujours les contribuables français – qui soient obligés de pourvoir à l’entretien de leurs compatriotes en chômage.
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J’exposais aussi aux entrepreneurs qu’à mon sens le Conseil municipal s’orienterait sur la bonne voie en votant un crédit, important peut-être, mais spécialement employé à l’accomplissement par les chômeurs de travaux communaux d’une utilité incontestable.
Je leur demandais enfin de faire le maximum d’efforts pour atténuer la crise de chômage.
Je dois dire que nous rencontrâmes chez tous la meilleure bonne volonté d’aboutir.
Leur président, notamment, tint à souligner que dans le but d’obtenir du travail les devis avaient été diminués de 20 % pour la menuiserie, de 15 % pour la plâtrerie et la maçonnerie de 10 % et les frais généraux ayant augmenté en raison de la création de la caisse de compensation pour les allocations familiales professionnelles appliquées en vertu de la loi du 11mars 1932
Je sais bien que « de l’autre côté de la barricade » on éleva une certaine contestation sur ces chiffres et ces affirmations.
C’est souvent un problème bien difficile que de mettre parfaitement d’accord patrons et ouvriers. Et cependant on pourrait y arriver si, d’un côté comme de l’autre, on était animé du même désir d’entente.
Une question qui réalisa aisément l’unanimité fut celle des ouvriers de la Manufacture d’armes se livrant à des travaux professionnels suivis en dehors de l’établissement.
Cette tolérance n’est pas plus admise que celle qui résulte de l’emploi exclusif des ouvriers étrangers dans des corporations où l’on enregistre du chômage.
Après avoir déclaré que le gouvernement et la direction des Établissements de l’État n’avaient pas mis définitivement un terme à cet état de choses, les entrepreneurs déclarèrent qu’ils seraient heureux de voir les ouvriers s’associer à eux pour obtenir la cessation de tels abus.
Cette réunion qui avait eu lieu le lundi 10 juillet, prit fin par l’adoption d’un ordre du jour comportant les points suivants : 1° Qu’il soit procédé à une enquête dans l’arrondissement afin de déterminer exactement le nombre d’ouvriers étrangers employés par chaque chef d’entreprise ou d’industrie et de réclamer une intervention au cas où la proportion serait excessive ; 2° Que des démarches énergiques soient faites afin d’empêcher les ouvriers et employés de la Manufacture d’armes de se livrer à des travaux professionnels en dehors de l’établissement et les retraités, dont la rente est suffisante pour vivre, de tenir des emplois dans les entreprises et industries de la ville ; 3° Que les propriétaires dans l’intérêt des patrons et des ouvriers, soient invités à ne faire travailler que des employeurs patentés et des ouvriers n’appartenant ni aux administrations de l’État, des départements ou des communes. 4° Que soit mis en exécution dans le délai le plus court, les projets d’agrandissement de l’hôpital-hospice et du collège de jeunes filles puisque les acquisitions sont réalisées et que, dans le domaine municipal, il soit procédé au nettoyage des rues nouvelles, à la réfection de celles qui sont détériorées, à la construction de bordures de trottoirs et à l’étude d’un projet de tout-à-l’égout dont la réalisation pourrait être poursuivie par paliers.
En approuvant cet ordre du jour, les entrepreneurs comme on peut le constater six mois plus tard, faisaient preuve de bon sens et étaient entièrement dans la logique.
Après une semaine d’activité il nous ait apparu nécessaire de réunis les chômeurs pour les mettre au courant des premiers résultats obtenus.
Cette réunion eut lieu le 11 juillet à la Bourse du Travail.
Il y avait ce soir-là une trentaine de chômeurs.
MM. Naud, Giraudeau et Grandin, délégués de l’Union locale des syndicats étaient présents à la Bourse du Travail, je les fit admettre, fidèle à une résolution de collaboration avec tous ceux qui pouvaient être utiles aux chômeurs dans la salle de réunion.
J’indiquais que le concours de l’Union des syndicats ne pouvait qu’apporter des avantages à la cause des sans travail et j’ajoutais en toute cordialité que, puisque les représentants de l’Union des syndicats se proposaient de prendre la direction du mouvement je considérais terminée la mission temporaire de président que les chômeurs m’avaient confiée.
Au nom de la délégation nommée à la dernière réunion, je rendis compte des démarches accomplies et de l’action qui avait été menée.
Le bureau fut ensuite définitivement constitué. Il était composé de cinq chômeurs dont MM. Moine et Raimbault qui étaient en plus secrétaires.
Je déplorai l’attitude de M. Joubert. Mais, concluais-je, « les hommes fussent-ils premier adjoint au maire d’une ville de l’importance de Châtellerault, sont bien petits en présence des évènements qui ne cessent de se produire ».
Il m’est bien permis de constater six mois plus tard, que j’étais encore au-dessous de la vérité.
Je fis adopter par les assistants l’ordre du jour voté la veille par les membres du conseil d’administration de la Chambre syndicale des entrepreneurs du bâtiment.
Enfin, avant que soit levée la séance un chômeur se faisait l’interprète de ses camarades, me remerciait des démarches que j’avais faites en faveur des victimes de la crise du travail et l’un des secrétaires s’associait à cette déclaration.
J’avoue, moi qui suis critiqué bien souvent à tort, que ce témoignage de sympathie me touche profondément. Je donnai, à nouveau, aux chômeurs, l’assurance qu’ils pourraient compter sur mon concours en toute circonstance.
Ainsi avec la cessation de ma présidence – qui n’allait être que momentanée, on le verra par la suite – prenait fin cette première phase de l’action.
La deuxième phase ne devait commencer qu’à la fin d’août pour se poursuivre sans interruption.
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Nous allons voir au cours de cette deuxième phase, se vérifier d’une façon parfois effrayante cette parole d’un ancien ministre du travail : « Ceux qui sont condamnés au chômage sont les victimes complètement innocentes, d’un état de choses qu’ils n’ont en rien contribué à créer et auquel ils n’ont aucun moyen de mettre fin ».
F. Audinet
Président du Comité des chômeurs.
le 21/06/2020 à 17:44
Source : L'Avenir de la Vienne
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