« Retour

0197027/06/1936POITIERS

LA GRÈVE DU PERSONNEL DU GAZ ET DE L'ÉLECTRICITÉ EST TERMINÉE

La municipalité de Poitiers, dans un beau geste qu’il convient de louer hautement, a abandonné ses droits en faveur des grévistes.

Les délégués du personnel du gaz et de l’électricité, qui s’étaient rendus à Paris, étaient de retour à Poitiers jeudi soir.

Ils avaient obtenu satisfaction de la Compagnie pour certaines de leurs revendications et ils s’entretinrent des autres avec M. Baffrey, préfet de la Vienne.

A 19 heures, satisfaction complète est accordée au personnel sur les points suivants :
Remboursement des sommes prélevées en vertu des décrets-lois ;
Diverses améliorations relatives à la titularisation des tâcherons ;
Augmentations sur les bases prévues par les accords de Matignon et diverses améliorations intérieures.

La réunion qui eut alors lieu à la Maison du Peuple et qui groupa l’ensemble du personnel se déroula au milieu d’un vif enthousiasme et la reprise du travail fut approuvée par acclamations.

LE BEAU GESTE DE LA MUNICIPALITÉ DE POITIERS

Dans un geste et dans un but d’apaisement qu’il convient de louer, la Municipalité de Poitiers a aidé à mettre fin à un conflit qui aurait pu présenter pour la population poitevine les plus grands désagréments.

Vous êtes-vous représenté Poitiers sans gaz et sans électricité ? Sans exagérer on peut affirmer que c’est aussi Poitiers sans eau ni pain. En effet les machines élévatoires d’eau et les pétrins d’un grand nombre de boulangers ont besoin d’électricité pour fonctionner.

Les masses laborieuses de la population, les enfants, les vieillards et les malades auraient particulièrement souffert de cet état de choses préjudiciable aux intérêts de notre cité.

Il faut, en toute indépendance d’esprit, reconnaître que les grévistes des Compagnie du Gaz et de l’Électricité ne manifestèrent leurs revendications que sur le plan… pacifique.

Ils n’organisèrent ni défilé, ni chahut. Il n’y eut ni drapeaux rouges, ni chants révolutionnaires, ni poings levés.

Un très grand nombre de grévistes, en bons pères de famille, ne pensèrent réellement pas à « couper » le gaz ou l’électricité. N’auraient-ils pas soufferts les premiers de ce fait regrettable ? Aussi, avec une bonne volonté, digne d’éloges, ils écoutèrent les paroles de conciliation de MM. Baffrey et Fumeau et, pendant trois jours, sans aucune défaillance, ils assurèrent les différents services de ces deux industries de telle sorte que les poitevins purent s’éclaire et faire cuire leurs aliments.

A partir du 16 juillet 1935 jusqu’au 1er juin 1936, les retenus sur le personnel ont été de 135.000 francs.

La ville, concédante, c’est-à-dire Poitiers, avait droit à 20 % de cette somme pour l’extension des canalisations. Spontanément, pour éviter une grève qui aurait causé de graves inconvénients dans la vie de la cité, elle offrit d’abandonner ces 20 %, soit 31.000 francs au personnel et M. Baffrey, préfet, accorda, sans hésiter, son autorisation.

Quant aux revendications statutaires elles furent réglées à Paris, au siège social. Il ne restait plus alors qu’à exposer le litige à M. Salengro, Ministre de l’intérieur. Ce qui fut fait.

Cependant la délégation ouvrière partit de Paris sans avoir reçu une réponse ferme.

Avant l’arrivée de cette délégation à Poitiers, M. Baffrey reçut des instructions disant d’accorder entièrement le rappel aux ouvriers. Les délégués de la direction acceptèrent et promirent que les employés obtiendraient le plus tôt possible ce rappel.

Aussi est-ce avec une très grande satisfaction que le personnel des usines à gaz et électrique apprécièrent le geste de la municipalité de Poitiers.

Félicitons M. Fumeau et son Conseil municipal qui ont su ainsi donner satisfaction à tous les poitevins.

-----------------

 

Article de Noêlle Gérôme - La France en mouvement – Jean Bouvier et al. Champ Vallon 1986 – p 62 à 67.

 

Images de l’occupation de l’usine à gaz de Poitiers

 

Noëlle Gérôme

 

 

Au cours d’une étude d’histoire sociale menée par des membres de la Caisse d’Activités Sociales E.D.F.-G.D.F., un des participants a apporté une collection de photographies d’amateurs, souvenirs conservés par son père de l’occupation de l’usine à gaz de Poitiers en 1936.

 

Les clichés, sans prétention, ne manifestent d’autre intention que de témoigner de l’évènement, pour les participants et leur famille, d’ajouter au récit la preuve de l’image, de permettre l’évocation de souvenirs des années après, traces et reliques. La plus carnavalesque de cette série a été conservée constamment dans un portefeuilles jusqu’aux années 1950.

 

On connaît de 1936 d’autres images plus saisissantes et plastiquement plus intéressantes. Pourtant cet ensemble présente sur les reportages d’agence l’avantage de correspondre aux critères propres

 

de commémoration, de célébration des acteurs de l’occupation de l’usine. Ainsi la série fait-elle apparaître l’ampleur des pratiques carnavalesques au moment de l’occupation de l’usine. La présence de ces pratiques n’étonne pas, elles sont signalées par la plupart des études du mouvement ouvrier depuis la fin du XIXe siècle et, à l’occasion, on en trouve les images dans les collections de cartes postales d’actions revendicatives ou dans des monographies d’histoire d’usine. Ailleurs l’usage des comportements de Carnaval a été relevé aux moments de rupture politique de l’ordre social.

 

L’intérêt de la collection des photographies de l’occupation de l’usine à gaz de Poitiers est de rendre compte, bien que de façon incomplète, de la plupart des « jeux de grève » et des célébrations qui s’y sont déroulés. Car la période de l’occupation a été courte, « quelques jours » à la fin du mois de juin, « joyeusement, sans cesser toutefois d’assurer les services essentiels.. pour obtenir l’abrogation des décrets-lois Laval », rapporte l’hebdomadaire Le Front Populaire de la Vienne ». Rien d’avant-gardiste dans le mouvement ; pourtant dans la région les occupations d’entreprises ont été rares, et celle-ci a constitué à la fois un exemple et un hommage au représentant des syndicat à l’intérieur du Comité de Front Populaire : Souchaud, ancien secrétaire du syndicat C.G.T.U. du Gaz et de l’Electricité puis directeur de la Bourse du Travail.

 

Une première série de deux photos montre l’enterrement parodique des décrets-lois dans un tas de coke au milieu de la cour de l’usine. Cortège ordonné derrière un corbillard fait d’une charrette de service portant une maquette de cercueil, puis cérémonie de l’enterrement. Une troisième photo est consacrée au groupe restreint des officiants, un faux prêtre portant croix sous un dais de fortune, trois personnages avec des barbes postiches, figures grotesques de dignitaires, un autre portant haut-de-forme, attribut de la décadence bourgeoise, un autre enfin déguisé en femme, un tambour accompagne le groupe. C’est la forme classique – à la crémation près – de la mise à mort du roi Carnaval, cérémonie d’exorcisme et de vengeance symbolique qui est dirigée contre les institutions du pouvoir. Dans d’autres usines on assistera à d’autres funérailles parodiques de mannequins représentant explicitement tel ou tel chef détesté. La photographie montre l’espace central de l’usine investi par le jeu, l’ordre et l’importance du défilé derrière son clergé de pacotille. Au-delà de la plaisanterie d’un petit groupe de boute-en-train, c’est bien d’un jeu de l’ensemble du groupe qu’il s’agit, jeu pour lui-même, en dehors de tout public puisque dans l’enceinte close de l’usine. Mise en scène de sa cohésion, de sa force, de son autonomie, égratignant au passage le pouvoir religieux. Meurtre symbolique mais aussi expression de libération des contraintes sociales qui retrouve d’emblée le langage des fêtes de la libération, magique et métaphysique, le Carnaval.

 

Le recours au langage des fêtes est encore plus fortement marqué dans la photo de la scène de charivari où les acteurs jouent le monde à l’envers puisqu’on vient de le remettre à l’endroit : quatre travestis de femmes dont une paysanne en bonnet, une autre en jupon bourgeois du début du siècle, une autre encore, figure de l’impur, à genoux, suppliante et les jupons troussés.. Un homme coiffé d’un casque colonial sous un parapluie redouble d’absurdité : on est en juin et, quelles que soient les réalités climatiques, le casque colonial évoque le soleil. Un autre personnage est en haut-de-forme et un dernier pose bras de chemise, bas de pantalon relevé et pantoufles, remplaçant le vêtement absurde par le port aberrant de ses vêtements. La scène se passe à un autre moment de l’occupation de l’usine et montre un jeu différent de l’enterrement parodique où peut-être le capitalisme et le colonialisme sont vilipendés par un « charivari », autre façon de faire la fête en réaffirmant un ordre social troublé. La scène est accompagnée d’un clairon et d’un accordéon.

 

La musique est partout présente : activité de loisirs rare, si étrangère à l’activité de l’usine et aux fonctions assignées à la classe ouvrière qu’à elle seule, ici, à ce moment, elle constitue une revanche.

 

Les photos évocatrices d’un monde nouveau, celles sans doute de la fin de la grève, arborant journaux déployés à leur première page et forêts de poings levés, comprennent aussi les accordéons. Les clairons guerriers sont alors absents de ces photos, trophées d’un Front populaire uni d’abord contre les menaces de guerre. Ici plus d’attribut grotesques, plus de jeux parodiques, pas plus que lors de la prise du cliché de la pyramide humaine, terminée par le plus jeune, le poing levé (mais hors du champ de l’objectif).

 

Dans les circonstances nouvelles de l’époque, celle d’une victoire politique et sociale sanctionnée par le droit, l’expression du groupe peut ne plus passer par la parodie, se dissimuler sous la farce, mais de donner évidemment pour ce qu’elle est, s’approprier d’autres modes d’expression (le spectacle de l’athlétisme). Aura-t-elle le temps d’en inventer d’autres ?

 

Dans l’immédiat cela se termina par un banquet le 25 juillet qui réunit la plupart des 195 nouveaux adhérents à la C.G.T. Après les discours on y « donna la parole aux chanteurs et cette manifestation se termina trop tôt au gré de tous ».

 

 

 

 

 

 

 

le 04/07/2020 à 14:54

Source : L'Avenir de la Vienne

gaz, électricité, salaire, accord

« Retour

Espace Militants v0.3 - UD CGT 86 - http://cgt-ud86.org

Site UD 86 - Espace militants - Espace formation