0211021/01/1937POITIERS
Jeunes et vieux sont indistinctement touchés.
Mais la situation de ces derniers, sans travail après trente ou quarante ans de labeur continuel, et dont personne ne veut plus, est particulièrement pitoyable.
L’âge, le travail avait cassé sa maigre silhouette. Elle flottait dans un pardessus trop ample et qui – il n’était pas besoin d’être grand clerc pour le deviner – avait dû connaître un plus heureux porteur avant d’échouer sur le dos de celui-ci. Sous la rude moustache grise, la bouche, au coin de laquelle demeurait une cigarette éteinte, avait un pli qui n’était même pas d’amertume, mais plutôt d’abandon.
- Du travail, c’est bien... mais moi…
La voix était comme la silhouette, d’une extrême lassitude. Il reprit :
- Eh oui ! Le travail n’est pas pour nous, les vieux. Quand il y a un peu de boulot, il nous passe sous le nez. Dame, nous n’avons plus vingt ans. Pourtant, monsieur, ces mains – et il me les montrait, solides, noueuses, formées au dur labeur – elles peuvent encore tenir l’outil. Mais on en veut plus… Avoir travaillé toute sa vie pour en arriver là, à la caisse de chômage ! Et sans elle nous n’aurions qu’à…
Je risquais :
- Les travaux que l’on va confier aux chômeurs, vous pourrez en avoir votre part. Vous pourrez, grâce à eux, gagner quelques argents.
L’homme parut sceptique.
Êtes-vous sûr ? J’ai demandé, vous pensez bien, si je pourrais… Il paraît, à cause des règlements, que l’on embauchera pas au-dessus de soixante ans. Comme j’en ai soixante-trois…
Mon interlocuteur poursuivit :
- Notre âge ! C’est ce qu’on nous reproche à nous les vieux.. Quand la crise est venue, que le travail s’est ralenti, c’est nous les premiers que le patron a remerciés… Encore moi j’étais un des plus anciens – vingt-trois ans que j’étais dans la même maison – j’ai été des derniers. Il y a deux ans de cela. Depuis de bricoles, de temps en temps.. Mais pour ce qui est d’un travail suivi, rien.. On n’avait pas beaucoup d’économies à la maison. Dame, les enfants – j’en ai trois, dont un qui a été tué pendant la guerre – ne s’élevaient pas de l’air du temps. Et on ne gagnait pas des mille et des cent… Alors les économies ont disparu. Et maintenant c’est l’allocation chômage qui nous fait vivre ma pauvre vieille et moi. Oh ! Sans extra ! Juste un paquet de tabac par semaine… Avec dix francs par jour – sept pour moi, trois pour ma femme – on ne va pas loin quand on a le loyer, la nourriture, le chauffage.. Pour le vêtement…
Il n’acheva pas. J’avais compris que des âmes charitables y pourvoyaient.
L’homme repris :
- On ne peut pourtant pas se mettre voleur ! Travailler je ne demande que çà. Mais les vieux, on ne les embauche plus.. Pas rigolo hein ? Et dire qu’il y a plus malheureux…
J’interrogeai :
- Plus malheureux ?
- Parfaitement, monsieur. J’en connais, moi qui vous cause. De pauvres vieux qui ont un peu de bien - oh ! une bicoque, un bout de champ – et qui ne peuvent pas, à cause de cela, toucher l’allocation de chômage. Ils ont des « revenus » !… Des « revenus », vous vous rendez compte ! Un bien qui leur rapporte huit cents, peut être mille francs par an. Comment, avec cela, voulez-vous qu’ ils ne crèvent pas de faim.
.../…
le 08/08/2020 à 15:38
Source : L'Avenir de la Vienne
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