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0229314/05/1938CHATELLERAULT

LA GRÈVE DES ÉTABLISSEMENTS MAURICE ROCHER DE CENON

La direction de ces établissements nous fait parvenir une mise au point visant à mettre fin, si possible, à des commentaires de presse pour le moins erronés, dit-elle, et qui sont parus au sujet du conflit né dans les usines de Cenon.

Précisons de suite qu’il ne s’agit pas des nôtres puisque la direction a tenu à nous déclarer qu’il correspondait scrupuleusement à la vérité.

Tout d’abord il doit être dit que les usines de Tours où se fabriquent tracteurs et moteurs et qui occupent 300 à 350 personnes, n’ont nullement étaient touchés par le conflit. Seule l’usine de Cenon, exécutant machines à écrire, machines à coudre et travaux de la défense nationale, et occupant 400 à 450 personnes, fut atteinte.

Pour éviter toute forme de polémique, la direction s’est bornée à nous rappeler des faits confirmés par des documents d’autant moins tendancieux qu’ils ont été signés par les délégués ouvriers eux-mêmes et, pour l’accord final, signés par ces mêmes délégués et les représentants de la C.G.T.

Le vendredi 6 mai deux ouvriers de l’équipe du soir étaient mis à pied par un contre-maître. La sanction fut entérinée par un collaborateur de la direction plus spécialement chargé du personnel. Ce dernier fit appeler les délégués ouvriers (avec lesquels la direction travaille en étroite et constante collaboration) pour les tenir au courant des faits. Tous ces délégués furent d’accord pour considérer qu’une sanction s’imposait. L’un d’entre eux fit observer néanmoins, sans y insister, qu’une atténuation de la peine la plus lourde fut souhaitable (5 jours de mise à pied).

Si la délégation ouvrière avait jugé devoir en appelé à la bienveillance du directeur pour une atténuation de peine, elle eût dû, normalement demander audience à ce dernier. C’est du reste, a-t-elle déclaré depuis, ce qu’elle se disposait à faire dès le lundi après-midi (l’arrêt du samedi et l’absence d’un délégué le lundi matin lui interdisait une intervention plus rapide).

Mais les deux ouvriers pénalisés s’étant rendus le lundi à l’usine, malgré leur punition, à l’heure de la rentrée normale de leur équipe soit 13 heures, prirent la tête d’un mouvement visant au débrayage d’une équipe où la jeunesse domine et c’est seulement ainsi que naissait une « grève abusive » avec occupation déclenchée à l’insu des délégués et même en l’absence du directeur auquel aucune doléance du personnel n’avait pu être présentée.

Prévenu téléphoniquement, M. Rocher arrivait quelques instants après sur les lieux et dès qu’il fut mis au courant du conflit in rédigeait une note concluant à ce qu’aucun des gestes de bienveillance habituels ne pourrait être envisagé que par la procédure normale préalable à l’arbitrage, ce qui impliquerait que les ouvriers devaient reprendre leur service sans condition.

Un vote des délégués qui suivit, quoi que reconnaissant que la grève de fait avait été déclarée sans contact préalable avec la direction, donc en violant une loi réclamée par les ouvriers eux-mêmes, concluait cependant au maintien de cette grève avec occupation.

La direction ne pouvait alors, le 9 au soir, que faire parvenir à la Préfecture une lettre lui confiant les soins de l’usine et déclarant :
1. Qu’une grève abusive était née, déclenchée par un groupe d’ouvriers non seulement sans accord préalable des délégués avec leurs mandants mais encore sans que ces délégués qui s’étaient déclarés d’accord sur le principe des sanctions appliquées, aient exprimé au directeur le moindre désir de voir étudier l’éventualité d’une atténuation de ces sanctions.
2. Que si la grève en question ne prenait pas fin avant le mercredi 11 mai au matin, la direction considèrerait tout le personnel comme ayant rompu le contrat de travail sans préavis se réservant de réclamer, pour chaque ouvrier :
   A) un préavis égal à une semaine de travail ;
   B) des dommages intérêts pour le préjudice causé, notamment par l’arrêt des marchés de l’État ;
   C) la suppression du congé payé découlant de la rupture du contrat de travail.

Après des conversations qui eurent lieu devant le sous-préfet de Châtellerault, dont on doit louer l’aimable et clairvoyant arbitrage un accord intervenait qui ne modifiait rien à la position patronale basée sur l’esprit de conciliation la plus large mais dans le respect des lois sociales. On ne peut mieux faire du reste que de communiquer le libellé de l’accord final :

« Le 10 mai 1938, à 11 heures du matin, s’est tenue à la sous-préfecture de Châtellerault, une réunion à laquelle assistaient, outre Monsieur le sous-préfet lui même, M. Rocher, industriel de Cenon, Monsieur Souchaud, secrétaire de l’Union des syndicats confédérés de la Vienne, MM. Cherrière, Carré et Pichereau, délégués ouvriers de la maison Rocher.

« M. le sous-préfet exprimant le souhait de voir prendre fin sans retard le conflit né entre les ouvriers et la direction de l’usine de Cenon et faisant appel à l’esprit transactionnel des parties pour y atteindre, M. Rocher, directeur, fait observer qu’il ne saurait être question de réclamer de lui un geste de bienveillance aussi longtemps que le personnel resterait dans la position illégale qu’il a adoptée ; en effet la grève a été déclarée sans qu’il y ait eu arbitrage préalable, sans même que les organisations ouvrières se soient mises en rapport avec la direction. Il ajoute que cette façon d’agir est contraire à celle recommandée par les organisations ouvrières elles mêmes.

« La délégation ouvrière se reconnaît d’accord avec M. Rocher sur ces points.

« Elle ne conteste pas non plus qu’une faute a pu être commise par deux ouvriers pendant leur travail et que cette faute doit être sanctionnée afin d’éviter le retour de telles errements. Elle estime que le travail doit être repris dès demain matin 11 mai, aux heures habituelles par tout le personnel.

« Les délégués ouvriers se déclarent d’accord pour le moins importante des sanctions. M. Rocher accepte d’étudier à nouveau la deuxième avec la plus grande bienveillance. Il examinera si cette atténuation de peine peut être envisagée après avoir pris l’avis du personnel de direction et des délégués ouvriers.

« Il est convenu que pour éviter le renouvellement de pareils incidents, reconnus comme fort regrettables, un règlement d’atelier précisant une gamme de sanctions proportionnées à une gamme de fautes sera établi dans le plus bref délai possible.

« M. Rocher et les délégués ouvriers acceptent de considérer que le contrat de travail n’a pas été rompu. Il n’y aura donc pas de sanction pour faits de grève.

Le conflit se terminait donc sans autre incident par une reprise du travail le 11 mai au matin.

Les représentants ouvriers et les délégués du syndicat, dont fut loué l’esprit loyalement transactionnel, ne pouvant que regretter comme la direction la naissance d’un conflit engagé sans que le principe de la loi du 31 décembre 1936 ait été respecté. Le directeur, M. Rocher, par ailleurs président de la chambre syndicale des industries métallurgiques de la Vienne, déclarait qu’en cette double qualité il était heureux de reprendre la collaboration patronale et ouvrière au point même où elle avait été abandonnée par ses ouvriers et c’est avec la plus grand bienveillance qu’il examinait la possibilité d’atténuer les sanctions infligées, suivant le processus normal que la grève avait eu pour seul effet de retarder de 40 heures.

Nous espérons que l’inutilité du mouvement est apparue aux organisations syndicales et que sera revenu pour longtemps, dans une région ouvrière habituellement des plus sages, le bon esprit de collaboration qui seul pourra conduire au développement naturel d’une industrie dirigée avec le courage qui s’impose dans ces temps difficiles.

 

 

le 24/08/2020 à 17:52

Source : L'Avenir de la Vienne

métallurgie, sanctions, solidarité

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