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0287331/10/1946CHATELLERAULT

N’AYANT PU ÊTRE VENDUE L’USINE ROCHER DE CHÉZELLES A FERMÉ SES PORTES

Nous avons signalé dans notre édition d’hier matin que la vente de l’usine Rocher de Chézelles, qui devait avoir lieu mardi à Châtellerault, avait été remise « sine die ».

Nous apprenons aujourd’hui que conséquence directe de cette remise, l’usine allait devoir fermer ses portes. Le personnel a reçu, mercredi, avis de son licenciement.

Efforçons-nous d’examiner objectivement cette affaire dont les conséquences peuvent être importantes. Il est bon, pour le faire, de reprendre chronologiquement les faits principaux.

Maurice Rocher exploitait, à Cenon, un groupe d’usines, chacune affectée à une industrie particulière, outillage mécanique, coutellerie, etc. Celle de Chézelles fabrique des appareils de cinéma. Aucune connexion entre elles du point de vue fabrication, mais unité financière et de direction.

Maurice Rocher est condamné par la Cour de Justice de Poitiers pour faits de collaboration. Des amendes, des confiscations sont prononcées à son encontre, dont le total s’élève à 172 millions de francs.

L’administration des domaines est nommée séquestre des biens de Rocher.

Elle va s’efforcer de faire tourner les usines pour leur conserver leur valeur, garantie principale des 172 millions qui doivent revenir à l’État.

Cependant si, les principales usines tournent tant bien que mal et tant bien que mal équilibrent leur exploitation – grâce à un apport de 25.000 d’argent liquide avancé par l’État – celle de Chazelles n’est pas, en l’état actuel, rentable.

Certes, des appareils intéressants y ont été créés. Mais ce sont surtout des « prototypes ». Ceux-ci ont été connus. A diverses expositions, ils ont été appréciés. Des commandes ont été passées. Mais pour mettre la fabrication en route il faut des fonds de roulement. L’État trouve suffisant les 25 millions qu’il a déjà mis dans l’affaire Rocher. Trouver des concours privés, il ne faut pas y songer. Quelle banque, quel groupe financier mettrait de l’argent dans une affaire faisant partie d’un séquestre grevé d’un passif de 172 millions, représenté par une créance privilégiée de l’État ?

Une seule solution, vendre cette usine de Chazelles. Solution doublement séduisante : le prix sera d’autant plus élevé que l’usine offre dès l’instant, par les commandes en carnet, des possibilités pour qui peut immédiatement y investir des capitaux ; secondement, les ouvriers de l’usine sont assurés de travail pour de longs mois. Aussi cette solution reçoit-elle un accueil favorable à la fois de l’administration et du Comité d’entreprise.

Néanmoins comme l’usine fait partie du séquestre, il faut une décision judiciaire pour ordonner la vente. C’est alors que l’affaire se corse.

La phase judiciaire

Une instance est introduite devant le tribunal de Châtellerault pour qu’il décide de la vente. Mais, le 6 juillet, les consorts Rocher – épouse et enfants de l’industriel condamné indivis du fait de la condamnation – engagent devant le même tribunal une procédure en tierce opposition ayant en fait pour effet de s’opposer au principe de la vente.

Néanmoins le 10 juillet, le tribunal de Châtellerault, passant outre à la demande des consorts Rocher, fait droit à la demande des Domaines et décide la vente.

Le 17 juillet, les consorts Rocher font appel de la décision.

A la date fixée par le tribunal la vente a lieu. Mais, nouveau contre temps, certains acheteurs n’ayant pas obtenu l’agrément du Ministre de la production industrielle, ceux qui se présentent soumissionnent à un taux inférieur au chiffre minimum fixé par le tribunal. Faute d’acquéreurs la vente n’a pas eu lieu.

Immédiatement une nouvelle instance est entreprise, tendant à fixer une nouvelle date et un taux plus bas. Logique avec lui-même le tribunal de Châtellerault, dans son audience du 18 septembre, rabaisse la mise à prix et fixe au 29 octobre la seconde vente.

Cependant l’appel des consorts Rocher suit son chemin. Inscrit au rôle de la Cour de Poitiers, il vient le 22 octobre devant la 2e Chambre pour plaidoirie. La Cour renvoie son arrêt au 29 octobre.

On notera la similitude des dates.

Néanmoins, certaine de son bon droit, l’Administration des Domaine poursuit la publicité de la vente.

Coup de théâtre, le 28 octobre, veille de la vente, un jour avant la date prévue, la Cour rend son arrêt. Et celui-ci, contrairement à toutes les prévisions, fait droit à la requête des consorts Rocher.

Devant cette décision, l’Administration des Domaines décide de faire surseoir à la vente qui devait avoir lieu le lendemain.

Conséquences

Voilà où nous en sommes.

Des renseignements que nous avons eus. De tout ce qui ressort de l’exposé que nous avons fait aussi bref que possible, la situation est maintenant la suivante :
- Ou bien l’Administration des Domaines continue de gérer concurremment l’usine de Chazelles avec l’ensemble du groupe Rocher et c’est l’usine de Chazelles, constituant par la force des choses, une hémorragie pour l’ensemble de l’entreprise, la fermeture à brève échéance de tout le groupe ;
- Ou bien l’État fait une nouvelle avance de fonds permettant de continuer l’exploitation de l’ensemble (mais il semble que les crédits votés, 600 millions pour l’ensemble de toutes les usines sous séquestres de France) ne permettent pas de dépasser les 25 millions déjà versés.
- Ou bien, enfin, l’usine de Chazelles est fermée pour maintenir les autres entreprises.

C’est à cette dernière solution qu’on paraît s’être arrêté.

Nous ne cacherons pas qu’elle présente des inconvénients. L’un sera la dispersion des ouvriers et la fin d’une organisation dotant notre région d’une industrie intéressante. L’autre sera la dépréciation fatale du gage représenté par cette usine qui « vaudra » moins fermée que tournant et ayant un plan de fabrication prêt à être mis en application.

La vente aurait tout évité

Elle n’a pas eu lieu.

On sait maintenant pourquoi.

 

 

le 14/11/2020 à 14:34

Source : Le Libre Poitou

activités, coutellerie, libération, justice

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