0291323/01/1947POITIERS
L’Union des syndicats ouvriers communique :
Depuis de longues semaines la Commission d’assainissement des prix constituée sous l’initiative de l’Union des syndicats ouvriers a multiplié ses efforts pour assainir le marché et permettre aux consommateurs, de modeste conditions – et ils sont nombreux – de s’approvisionner à des prix abordables.
Nos militants, ne craignant ni leur peine, ni leur temps, aidés de quelques consommateurs dévoués, appuyés sans réserve par le contrôle et la police économique, ont pourchassé sans pitié les trafiquants du marché noir et les commerçants – rares heureusement – coupables de hausses illicites.
Nos camarades n‘ont pas toujours été compris de l’ensemble de la population de consommateurs et des commerçants.
Les premiers disaient vous avez tort, si vous faites baisser les prix les marchandises vont se raréfier sur les marchés et les commerces de détail. Le règne complet du marché noir sera institué. Au lieu de redresser la situation votre action va paralyser le commerce et nous serons dans l’impossibilité de nous ravitailler à peu près normalement.
Les seconds, eux, disaient, nous ne sommes pas responsables de la situation ; pour pouvoir approvisionner normalement nos étalages nous sommes obligés de payer nos marchandises au-dessus du cours d’où l’impossibilité de vendre à la taxe ; comme les premiers, ils étaient persuadés que cette action allait étouffer le commerce et les empêcher de travailler.
Aujourd’hui, au moment où les difficultés commencent, notamment dans le domaine de la viande, il est peut-être utile de faire le point de la situation.
Il est sûr que les difficultés ont été grandes ; la politique de hausse de M. De Menthon, n’a pas favorisée notre action pour la baisse, au contraire.
Au moment où les salaires étaient bloqués, où des promesses formelles ont été faites, à la suite de la conférence économique de bloquer les prix industriels, M. De Menthon n’hésitait pas à déclencher sa politique de guerre des hausses.
Ces mesures impopulaires, il faut bien le dire, contraires aux intérêts de la nation, avaient pour résultat de semer le trouble dans les esprits et de laisser entrevoir la panique financière et la chute du franc.
La confiance ne régnait plus, les marchandises étaient stockées, dans l’attente d’une nouvelle hausse, par des spéculateurs de plus en plus nombreux. Le ravitaillement des grandes villes était compromis, à la grande satisfaction des adversaires de la démocratie et de la République.
Nous savions, il faut le reconnaître en toute impartialité, que nos commerçants, et, en particulier, les bouchers, n’étaient pas toujours responsables, mais nous savions aussi qu’il est indispensable de créer le courant de la baisse.
Pouvions-nous déclencher l’offensive à travers la campagne, auprès de nos amis paysans, pour les amener à une compréhension plus juste de leurs intérêts qui se confondent étroitement avec les nôtres ?
Aucune arme de nous était donnée pour entreprendre cette action et les prix continuaient de monter.
Il devenait impossible – et nous le comprenions très bien – aux bouchers de s’approvisionner normalement.
Les forbans de la viande s’en donnaient à cœur joie ; ils poussaient la hausse sans crainte d’affamer la population.
La viande était exportée en Allemagne, via la suisse et même chez Franco.
Notre politique était la suivante : obliger – avec les moyens dont nous disposions – les détaillants à respecter les prix étant sûrs qu’ils agiraient de même pour s’approvisionner à des prix normaux, nous avons pensé, et nous continuons de penser, que c’est là la clé du problème : de la fermeté des consommateurs dépend le succès.
Pour notre part, nous resterons solides au poste, conscients de nos responsabilités ; nous continuerons notre action malgré les sarcasmes et les embûches.
Nous demandons aux consommateurs de résister à la tentation, de ne pas acheter sous les comptoirs, au-dessus de la taxe, mieux, d’être avec nous des gardiens vigilants ; qu’ils ne craignent pas de nous signaler tous les abus qu’ils pourraient constater, nous avons les moyens d’y mettre bon ordre.
Nous nous adressons aussi aux commerçants ; nous leur disons : comprenez bien notre action, aidez-nous, travaillez avec nous à la normalisation du marché. Il y va de votre intérêt.
Quant à nos amis paysans, nous voulons leur adresser un appel ; il est peut-être le dernier. Croyiez-vous que votre intérêt vous commande de continuer à suivre cette voie ?
Vous avez, par des années de labeur acharné, économisé de l’argent, pensant que la situation redevenue normale, vous permettrait d’améliorer vos conditions d’existence, perfectionner votre outillage pour augmenter le rendement de vos propriétés, réparer ou construire des bâtiments nouveaux ; en un mot aller vers le progrès qui est l’avenir du genre humain.
Pensez-vous que la dépréciation du franc vous permettrait de réaliser vos espérances ? Pensez-vous que vos billets, ayant perdu toute valeur, auraient la possibilité de vous récompenser de vos efforts ?
Nous disons, non ; vous serez d’accord avec nous, Amis paysans, vous qui avez sous l’occupation montré tant d’abnégation dans le sacrifice, en ravitaillant, en cachant nos maquisards ou nos réfractaires ; allez-vous méconnaître votre devoir et aussi votre intérêt ? Nous ne le pensons pas ; nous avons confiance en votre patriotisme ; nous savons que vous ferez des efforts de compréhension.
Le dernier gouvernement provisoire a donné le coup de barre que nous attendions depuis longtemps. Le vent est à la baisse ; allez-vous faire souffler la tempête qui renversera tout sur son passage et le ravitaillement et la France ?
Paysans de la Vienne, nous avons confiance en vous. Vous comprendrez votre intérêt, vous baisserez vos prix, vous permettrez aux modestes consommateurs de manger à leur faim, sûrs de contribuer ainsi à la sauvegarde de vos intérêts et de celui de la nation.
Vous permettrez ainsi aux ouvriers des villes d’augmenter la production et de poursuivre rapidement la reconstruction d’une France dévastée.
Vous consoliderez le franc en traquant avec nous les trafiquants du marché noir.
Consommateurs, détaillants, tenez ferme ; ne vous laisser pas tenter par les appels intéressés. Montrez-vous tenaces dans cette action ; la victoire est au bout. Encore quelques jours de patience et le ravitaillement s’améliorera, les produits de la terre reviendront sur les marchés.
Paysans, n’écoutez pas les mauvais conseillers ; repoussez la surenchère. Vous contribuerez ainsi, comme par le passé, à redresser la situation et, unis avec vos frères, les producteurs des villes, vous irez de l’avant sur la route du progrès, de la liberté et de la paix.
Jean Vigier, secrétaire-adjoint des syndicats ouvriers de la Vienne
le 15/11/2020 à 17:43
Source : Le Libre Poitou
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