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0336502/11/1948POITIERS

INCULPÉ D’ENTRAVE A LA LIBERTÉ DU TRAVAIL M. CAMILLE AUCHER SECRÉTAIRE DU SYNDICAT DU BOIS ET DU BATIMENT (CGT) A COMPARU SAMEDI

Il a été mis en liberté provisoire

A la suite d’une plainte de M. Montay, chef de chantier de l’entreprise Ortal, chargée du draguage du Clain à Poitiers, la police poitevine a arrêté samedi M. Camille Aucher, secrétaire du syndicat du Bois et du Bâtiment (CGT) de la Vienne. Et, après un long interrogatoire, M. Aucher a été déféré, samedi en début d’après-midi, au Parquet. M. le Procureur de la République, appliquant les instructions très strictes du Gouvernement, constitua immédiatement un tribunal de flagrant délit présidé par M. Roger, juge d’instruction, assisté de MM. les juges Cazals et Huguet.

A 17 h. 15, dans la salle du Tribunal correctionnel, devant une assistance extrêmement réduite – il y avait là des policiers, 2 témoins et un journaliste – M. Aucher comparaissait devant le tribunal.

Après l’interrogatoire d’identité de l’inculpé, M. le Président Roger donne connaissance du chef d’inculpation : Vous êtes poursuivi pour entrave à la liberté du travail en déclarant notamment le jeudi 28 octobre dernier à des ouvriers de l’entreprise Ortal travaillant au draguage du Clain : « Il faut débrayer immédiatement, c’est un ordre de la CGT. Si vous ne le faites pas il y aura 1.000 camarades qui vous le feront faire de force ».

L’inculpé a ensuite la parole : « Jeudi dernier une grève de solidarité était décrétée par la CGT à partir de 16 heures. Je fus prévenu par un camarade de la fonderie Rocher que certains ouvriers de l’entreprise Ortal n’étaient pas en grève par suite de l’interdiction du chef de chantier. Le camarade qui m’avait prévenu, Jean Bourgouin, descendit avec moi au chantier du Clain. Là je fus insulté par M. Montay, chef de chantier, après que j’eus demandé aux ouvriers de se mettre en grève. Je remontai ensuite avec les ouvriers qui avaient « débrayé » pour me rendre à la Bourse du Travail. Le soir même je fus reçu par M. le Préfet auquel je fis part de l’incident. Hier matin je fus très surpris de rencontrer M. Rouet, commissaire de police, qui me demanda de le suivre ».

Après ces premières explications, un témoin est introduit. C’est M. Jospeh Vignol, 37 ans, contremaître à l’entreprise qui déclare : « Vers 17 heures, un groupe de grévistes de l’entreprise Rocher, accompagné de M. Aucher, arrivèrent sur le pont et lancèrent des pierres aux ouvriers qui travaillaient. C’est alors que M. Aucher dit aux travailleurs : « Alors les gars vous ne débrayez pas ? ».

Puis le responsable syndical descendit sur le chantier et au cours de l’altercation qui suivit il déclara à M. Montay : « Si tu veux connaître la profondeur de l’eau, je te la montrerais ! ». Puis s’adressant aux ouvriers : « Si vous ne voulez pas débrayer, il y a en 1.000 là haut qui vous feront cesser le travail ! ».

Le second témoin entendu est M. Jean Bougouin, travaillant à la fonderie Rocher, qui vint chercher M. Aucher à la Bourse du Travail pour intervenir sur le chantier. Son interrogatoire a pour but de connaître si M. Aucher prononça la phrase, objet du délit. Le témoin s’embrouille quelque peu au début de ses explications. Il déclare que la phrase incriminée fut prononcée après que M. Montay eut averti la police de la présence des grévistes sur le chantier et dans le but de faire croire que si la police intervenait, les grévistes tenant un meeting à la Bourse du Travail viendraient s’opposer à la police.

En raison du caractère exceptionnel et rapide de la juridiction, le principal témoin, M. Montay, n’a pu être touché à temps pour comparaître devant le Tribunal, aussi le Président donne lecture du procès-verbal de sa déposition et de sa confrontation faite le matin même dans les locaux de la police.

Avant le réquisitoire, M. Aucher précise qu’il n’a pas tenu à faire un sabotage ou une excitation quelconque. Il en donne pour preuve les paroles qu’il adressa aux ouvriers chargés de la reconstruction du cinéma « Castille » et de la construction de la Rotonde de l’entrepôt des machines à la gare de Poitiers ; à savoir qu’il désirait que les travaux de « Castille » soient rapidement terminés en raison de l’encombrement de la chaussée et que les travaux de coulage du béton à la gare soient également terminés en raison du caractère d’utilité publique des chemins de fer.

M. Limon-Duparcmeur, qui occupe le siège du Ministère Public prend alors la parole :
« Le tribunal ne s’est pas réuni en flagrant délit pour juger la grève qu’il respecte, puisqu’elle est inscrite dans notre Constitution, mais pour l’emploi des menaces destinées à influencer les travailleurs dans leurs décisions. Dans le cas présent des éléments constitutifs du délit sont nettement caractérisés. Il y a eu menaces, cessation concertée du travail, relation de cause à effet entre les menaces et la cessation du travail, enfin l’intention coupable. Il y a donc bien eu entrave à la liberté du travail, bien que nous n’eussions pu entendre M. Montay. Malgré le témoignage de M. Bougouin, qui aurait pu être au banc des prévenus, mais aussi comme le démontre le témoignage M. Vignol, une sanction s’impose. De bons renseignements sont fournis sur l’inculpé, il est marié et père de deux bébés, mais la loi doit être respectée. Il est dur de requérir un emprisonnement. Mais je dois le faire, car c’est le devoir et l’intérêt de la Nation. Nous connaissons des temps troublés et nous ne pouvons laisser passer ces délits que le Tribunal a le devoir de sanctionner, même lorsque c’est dur pour le cœur d’un magistrat. C’est pourquoi vous prononcerez contre Aucher une peine d’emprisonnement ».

Après 20 minutes de délibération,le Président donne lecture du jugement : « Attendu qu’il y a lieu de noter certaines contradictions entre les deux témoignages, attendu que, d’ores et déjà, il est difficile de rendre un jugement dans une affaire où il est de première importance d’entendre le chef de chantier et les ouvriers menacés, mais attendu qu’il y a lieu également de vérifier les déclarations de l’ensemble des ouvriers dans ces confrontations, attendu que le Tribunal ne possède pas les éléments suffisants pour se prononcer, ordonne qu’un supplément d’information sera effectué par M. Huguet, avec mission d’entendre tous les témoins utiles ».

M. le Procureur de la République demande au Tribunal de confirmer le mandat de dépôt pris à l’encontre de M. Aucher.

Mais le Tribunal, après que M. Aucher ait donné sa parole d’honneur de ne rien faire si on le laissait en liberté et déclaré : « qu’il cesserait même ses fonctions s’il le fallait », ne donne pas confirmation du mandat de dépôt : « Attendu que le Tribunal n’a pas la certitude que le délit ait été réalisé par Aucher, attendu que de bons renseignements sont fournis sur sa personne et qu’il a pris l’engagement de se présenter à toute nouvelle convocation, ordonne sa mise en liberté immédiate ».

A 18 h. 45 l’audience est levée.

 

 

le 13/12/2020 à 15:50

Source : Le Libre Poitou

justice, procès, entrave, grève

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