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0337919/11/1948POITIERS

CAMILLE AUCHER SECRÉTAIRE DE L’USBB INCULPÉ D’ENTRAVE A LA LIBERTÉ DU TRAVAIL EST RELAXÉ

Revenant devant le Tribunal correctionnel, après supplément d’information, M. Camille Aucher, 28 ans, maçon, secrétaire local de l’Union des syndicats du bois et du bâtiment de la Vienne était jugé jeudi matin à 10 heures.

L’assistance est composée de policiers, tant en uniforme qu’en civil, de syndicalistes et de quelques spectateurs. Le Tribunal est présidé M. Roger, juge d’instruction, assisté de MM. Cazals et Huguet, juges au Tribunal.

Et voici l’appel des témoins. Ce sont MM. Félix Montay, chef de chantier de l’entreprise Ortal ; M. Joseph Vignol, son adjoint et M. Guy Benoit, ferrailleur. Aucun ne se présente à l’audience.

L’interrogatoire d’identité débute par le rappel, par M. le Président, des bons renseignements fournis sur M. Aucher, puis par la lecture de l’inculpation.

« Vous êtes inculpé d’avoir le 28 octobre dernier, déclaré à des ouvriers de l’entreprise Ortal, occupés au draguage du Clain : « Il faut débrayer immédiatement, c’est un ordre de la CGT. Si vous ne le faites pas, mille camarades viendront vous le faire faire de force » et d’avoir ainsi amené à une cessation concerté du travail, délit prévu et réprimé par l’article 414 du Code pénal ».

« Vous faites partie de la CGT, c’est votre droit le plus absolu ; vous avez également le droit de faire grève et de plus vous pouvez faire pression sur les ouvriers, sauf dans les cas restrictifs prévus à l’article 414 (voies de fait, manœuvres frauduleuses, menaces) et c’est ce dernier élément constitutif du délit qui vous est reproché.

Si vous avez prononcé ces paroles vous serez condamné, les meetings n’auront servi à rien. Si vous ne les avez pas proférées, vous serez relaxé et les meetings n’auront pas mieux servi à obtenir cette relaxe ».

Puis un dialogue s’établit entre le président et l’inculpé :
- A. : « C’est le chef de chantier qui a interdit la grève prévue par la Constitution, à ses ouvriers ».
- P. : « Avez-vous prononcé ces paroles ? ».
- A. : « Non, M. le Président ; »
- P. : « Un ouvrier, M. Guy Benoit, ferrailleur à l’entreprise Ortal, a entendu pourtant ces menaces et s’il a quitté le chantier c’est pour suivre les autres ouvriers ».
- A. : « Il faut vous dire, M. le Président, que j’ai fait condamner M. Montay qui n’appliquait pas les tarifs horaires prévus par les décisions ministérielles et il m’en a tenu rigueur ».
- P. : « Cette question mise à part, il semble bien que certains ouvriers n’étaient pas décidés à faire la grève ! ».
- A. : « Sans discussions, ils ont quitté le travail ».
- P. : « Lorsque vous êtes descendu sur le chantier, votre intention était de faire appliquer la grève ? ».
- A. : « Ma seule intention était d’empêcher le chef de chantier de faire pression sur les ouvriers pour les faire travailler ».

M. Limon-Duparcmeur, qui tient le siège du Ministère public pose à son tour une première question :
« Les ouvriers d’Ortal étaient-ils tous affiliés à la CGT ? ».
- A. : « Tous sauf un ou deux ».
- Procureur : « Les déclarations du prévenu me semblent contraire à celles de sept ou huit témoins ».

Puis , M. le Procureur demande qu’une lecture des dépositions des trois témoins absents soit faite.

M. le Greffier en donne lecture.

Déposition de M. Félix Montay : « Il a prononcé la phrase incriminée devant 7 ou 8 ouvriers qui stationnaient à côté de mon bureau et m’a déclaré : « Si vous ne connaissez pas la profondeur de l’eau, je vous la ferais connaître ».

Déposition de M. Joseph Vignol : « J’ai entendu prononcer la phrase dès l’arrivée d’Aucher ».

Déposition de M. Guy Benoit : « La phrase a été entendue dans un rayon de 50 mètres. Nous n’avions pas décidé de faire la grève, seul un ou deux ouvriers voulaient la faire ».

Ainsi se termine l’interrogatoire.

C’est maintenant le réquisitoire de M. le Procureur :
« A l’issue des débats qui se déroulèrent, il y a bientôt 3 semaines, la décision du supplément d’information me stupéfia. C’est pour cela qu’aujourd’hui je crois devoir reprendre à nouveau la parole, d’abord par égard pour la défense qui n’assistait pas aux débats et ensuite pour donner quelques brèves considérations juridiques ».

Longuement M. le Procureur étudie les détails de l’affaire et relève tous les éléments constitutifs du délit d’« entrave à la liberté du travail ».

« Je ne veux pas m’appesantir contre le prévenu, dira t-il plus loin, il a eu une attitude correcte pour ne pas dire sympathique, à l’audience et à l’instruction ; il a 2 enfants et de bons renseignements sont fournis sur sa personne. A s’en tenir à sa personnalité, le Tribunal peut consentir une atténuation de la peine. Mais les juges ne peuvent s’inspirer que de ces éléments. Les soucis de la sécurité publique doivent prendre le pas sur la personnalité. Je vous demande de réprimer l’infraction dont vous êtes saisis, le devoir du Tribunal est de prononcer dans cette affaire une peine de prison pure et simple ».

Me Chevalier assume la défense de l’inculpé et débute en rendant hommage à la Justice et il poursuit : « Je veux simplement me cantonner au seul point de vue juridique. Le Tribunal ne doit pas savoir s’il doit doser la peine ; celle qui s’impose c’est la relaxe ». Puis l’avocat examine point par point les 4 conditions nécessaires pour établir le délit. Il regrette au début de ses explications l’absence « des pivots de l’accusation » et en particulier de M. Montay qu’il estime partial dans ses déclarations.

Me Chevalier termine : « l’existence des menaces n’est pas établie et l’absence des témoins est un élément de plus de suspicion. Tenant compte de la situation particulièrement intéressante de M. Aucher, de son casier judiciaire vierge, vous devez le relaxer ».

Après un « délibéré » d’un quart d’heure, le Tribunal relaxe Camille Aucher.

le 13/12/2020 à 18:37

Source : Le Libre Poitou

justice, jugement, grève

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