0356505/03/1945POITIERS
Ma mémoire est fidèle, je me souviens de juin 1940 alors que des jours durant nous battions en retraite depuis Metz jusqu’à Dijon, je me souviens que sur nos lèvres un mot venait souvent : trahison, cinquième colonne.
Je me souviens aussi que pendant de longs mois – presque 3 années – j’ai souffert en captivité loin des miens, je me souviens des paroles et des écrits qui parvenaient jusqu’à nous et nous soulevaient le cœur en pensant que des Français en étaient les auteurs.
Je me souviens et ce n’est pas encore vieux, de la situation que nous avions connue, en France, l’année dernière : le travail forcé, la délation organisée, les patriotes traqués, la vie clandestine, l’immonde Gestapo et ses auxiliaires français.
Non, je n’ai rien oublié. Ce souvenir et celui de nos martyrs a constamment hanté mon esprit. Aussi ma réaction naturelle m’orientait vers la tâche indispensable de l’épuration dans tous les domaines.
Pendant cinq mois, sans le moindre répit, je m’y suis consacré entièrement Je l’avais voulu impitoyable, mais juste et humaine. Je la désirais non pas pour les petits, pas pour les femmes sans vertu, non, mais j’aurai voulu atteindre les gros, les grands coupables, les pontifes comme on dit parfois dans notre langage.
J’ai été terriblement déçu et cruellement blessé dans ma dignité ; malgré mes efforts j’ai dû capituler. J’ai trouvé plus fort que moi, plus fort que la résistance elle-même. J’ai trouvé la Justice. La Justice bourgeoise, tendre pour les puissants, dure pour les petits.
Elle a réussi cette justice, les traitres sont ou seront relâchés. Les autres, ceux que l’on n’a pas arrêtés redressent la tête, ils ne risquent plus rien. Établir leur culpabilité eut été trop malaisé. Dans les dossiers, dont certaines pièces se sont égarées, on a ajouté des monceaux de témoignages élogieux ; avec ça le jury acquitte toujours.
Camarades des Stalags, des Oflags, camarades déportés, travailleurs et politiques, et vous pauvres camarades tombés sous les balles et parfois sous les coups de l’ennemi, j’ai voulu pour vous tous faire mon devoir de français, j’ai voulu vous venger, mais je suis obligé de vous dire – car je ne veux pas rougir devant ceux d’entre vous qui reviendront – : non, l’épuration n’est pas faite.
H.S.
La Vienne Ouvrière et Syndicaliste – mars 1945
le 21/01/2021 à 14:55
Source : La Vienne Ouvrière et Syndicaliste
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