0373520/12/1950POITIERS
Le représentant du personnel nous donne le point de vue de l’agent « tampon »
Il y a quelque chose de changé dans le service des transports urbains. Les usagers s’en aperçoivent. Pestant aux arrêts sous la pluie, ils maudissent le « trolley » ou l’autobus qui leur passe sous le nez : « Et pourtant il n’est pas plein ! » disent-ils.
Effectivement la voiture n’est pas pleine ; mais il y plein et plein, charge et surcharge. N’empêche que les usagers, qui n’en peuvent plus, s’insurgent contre le service et comme le service s’incarne à leurs yeux dans ses agents, ce sont eux qui écopent. Or, ils n’en peuvent mais…
Agents d’exécution, ils n’ont aucun pouvoir de « conception », ni de décision. Cela n’empêche pas d’avoir un avis sur la question, c’est celui qu’exprime, pour nos lecteurs, un représentant du Comité d’entente du personnel des trolleybus et autobus avec lequel nous avons eu un entretien.
- « Le Comité d’entente du personnel des trolleybus et autobus, nous dit-il, ne peut continuellement et sans rien dire, ne pas essayer de se justifier, tant auprès des autorités du contrôle que des clients usagers de ses moyens de transport et, sans nul doute, lorsque beaucoup de personnes mal informées de la situation, seront mises au courant des faits, leur attitude changera vis-à-vis des employés des tramways qui voudraient leur donner satisfaction, mais ne peuvent faire plus que leurs possibilités.
« Depuis un certain temps, environ un mois, nous nous trouvons, par suite des intempéries ou autres causes, devant une affluence de voyageurs tant sur les lignes de trolleybus qu’autobus. Ceci ne devrait, en toute logique, avoir que des avantages pour la marche du réseau à la suite de l’augmentation des recettes en résultant. Du reste, pour donner des preuves à l’appui, il suffit de savoir que le nombre de voyageurs transporté est passé de 170.619 en novembre 1949, à 184.016 en novembre 1950.
- Cette situation devrait conduire à une modification de la structure de l’exploitation.
- C’est évident. La Compagnie a augmenté le nombre de départs, dans la mesure de ses moyens : doublages le matin, à midi et aux moments d’affluence certains jours connus ; passages plus fréquents.
« Ceci semblait être parfait. En effet, alors que la Convention prévoyait 58 voyages par jour, nous arrivons à en faire 72 les jours creux et 87 les jours d’affluence. Pour ceci, évidemment, il faut du matériel et les hommes. Or, nous disposons de 10 trolleybus et 4 autobus comme matériel et sur un effectif de 74 agents au moment des tramways, celui-ci est réduit, à force de compression, à 45 agents seulement, plus 2 auxiliaires.
« Pour pouvoir assurer les suppléments de tours sur les lignes trolleybus aux heures d’affluence, il faut donc prendre au dépôt les hommes affectés à l’entretien, fatalement au détriment de celui-ci et il n’est pas rare de rester le matin au dépôt à 2, 3 ou 4 agents pour assurer la sortie, la marche des sous-stations, réparations et autres.
« Chacun y met du sien comprenant tout l’intérêt de la situation mais ne peut faire l’impossible.
- Cette pénurie de matériel et cette « marche forcée » à laquelle il est soumis doit être pernicieux pour sa solidité.
- « Le plus grave c’est la surcharge.
« Devant cette surcharge, de plus en plus grande, devant le nombre de ressorts et autres pièces mécaniques cassées ou coupées, devant l’insuffisance de freinage par excès de poids, pouvant causer des accidents graves (conducteur gêné dans ses mouvements, chaussée glissante, etc.) à la suite de réclamations de clients ; à la suite de réclamations du Comité d’entreprise auprès de la direction, protestant contre la surcharge des autobus (surcharge allant à un tel point que certains jours, le chauffeur étant dans l’impossibilité de fermer la porte de sécurité, l’autobus de la Cueille montait la rue des Carmélites avec un client mains cramponnées aux barres de montée et le corps entièrement à l’extérieur, ce qui aurait pu occasionner un grave accident et, tout ceci au détriment des voyageurs compressés à l’intérieur – entre 60 et 70 environ – pour une voiture de 45 maximum). Devant de tels faits, la Direction appliquant les règlements rappelés par Monsieur l’Ingénieur en chef, fût dans l’obligation de mettre des notes de services, de faire appliquer le règlement pour la surcharge. Il en est résulté que certains jours, jours de pluie, de stade ou pour d’autres causes d’affluence vers le centre, des clients ne prenant presque jamais le trolleybus, se trouvaient au terminus à emplir les voitures. Le client habituel voyait passer la voiture complète ne s’arrêtant pas. Juste mécontentement de celui-ci et réclamation justifiée. Mais comment y apporter remède, quand tout le matériel et les agents sont en service ?
« Le moyen, certes, il existe. Il est évident : ce serait de mettre un matériel plus grand et d’augmenter le nombre d’agents, mais ceci est une autre affaire qui ne peut être travaillée qu’entre ville et compagnie et, sur cette question, le personnel, en principe, n’a pas qualité pour traiter…
« Il faut reconnaître que ces questions sont d’autant plus délicates à résoudre que tous les jours ne sont pas pareils. Tel jour de la semaine, telle heure, donne une affluence extraordinaire et le lendemain ou la semaine suivante au même jour, à la même heure, c’est le contraire. Un rayon de soleil suffit souvent.
« Aussi, vous voyez dans quelle situation se trouve le personnel qui, toujours en contact avec son public qu’il connaît et aime malgré tout, en supporte les mouvements d’humeur et les réclamations – souvent injustifiées – mais qu’il doit accepter sans récriminer car s’il rouspète, fort de son bon droit, et qu’une réclamation est portée contre lui, il est puni par ses chefs ».
Et notre interlocuteur de conclure :
- « De leur côté, les pouvoirs publics, harcelés par les réclamations, ne sachant plus d’où viennent les torts, ne peuvent en toute équitabilité, se faire une idée de la situation. Aussi est-ce dans ce but que le Comité d’entente des syndicats s’étant réuni, a décidé de prendre contact avec les personnalités directement intéressées à la gestion du réseau, pour les mettre au courant des faits exacts et de cette situation qui ne pouvait durer ».
« Le personnel désirant avoir l’assurance que n’ayant rien à se reprocher, l’on en pourrait loyalement lui faire supporter les responsabilités d’un service qu’il n’organise pas et en prendre prétexte pour refuser de discuter les revendications justifiées qu’il a posées ces jours-ci ».
Il ne nous restait plus qu’à remercier le représentant du comité d’entente de ses explications en l’assurant – sans risque d’erreur – que le public sait faire la part des choses et que les mouvements d’humeur par le personnel subis ne lui sont sûrement pas destinés.
L’organisation d’un service de transport dans une ville comme la nôtre n’est pas simple. Peut-être conviendrait-il de se mettre d’accord sur un principe : est-il un service public ? Est-il une entreprise à fins commerciales ? Et ceci fait d’en tirer telle ou telle conséquence.
L’organisation des transports a d’ailleurs des répercussions sociales considérables qui elles aussi devraient peut-être bien être, le mot est à la mode, repensées.
L. Ch. D.
le 08/02/2021 à 16:47
Source : Le Libre Poitou
Espace Militants v0.3 - UD CGT 86 - http://cgt-ud86.org