0386714/11/1951POITIERS
malgré la décision de fermeture prise par la Direction
L’indivision des biens – dont la suppression est réclamée unanimement – est à l’origine des difficultés financières de l’entreprise.
Depuis deux ou trois ans, différents produits des usines Rocher de Cenon ont conquit brillamment leur place sur le marché français et européen.
Machines à coudre, moteurs, scooters
Ces usines ont en effet entrepris la construction de deux nouvelles machines à coudre d’un excellent type qui furent chaleureusement accueillies et continuent à être particulièrement demandées.
Mais ce n’est point là la seule réussite des usines Rocher. En effet, un moteur auxiliaire à quatre temps, soupapes en tête de 48 cm³ de cylindrée pour bicyclette, cyclomoteurs, scooters, tandems, triporteurs, etc., un véritable bijou a vu le jour à Cenon.
Il possède nombre de records mondiaux établis sur la piste de Monza.
Il enleva les premières places de tous les grands cross cyclomoteurs durant la saison 1950-51, le Paris-Nice, les six premières places de la course de côte du Mont-Agel, l’épreuve de vitesse « La Médaille »... Le raid exceptionnel Athènes-Paris (4.200 km) a été réalisé par trois cyclomotoristes équipant leur machine du moteur en question. Pour ce moteur, les usines Rocher possèdent la chaîne de montage en moteur auxiliaire la plus parfaite du monde entier, que nombre d’étrangers viennent admirer.
Mais l’effort ne devrait pas s’arrêter là puisqu’on a récemment construit le prototype d’un scooter appelé « Carley » apte à révolutionner le marché tant par ses performances que par son prix de revient.
Ajoutons que les carnets de commande sont pleins et que l’on pourrait même embaucher du personnel.
L’indivision arrête les concours financiers
La situation – exacte – ainsi exposée, on se demande pourquoi cette affaire, en plein essor, est obligée brusquement de restreindre considérablement sa production et de « mettre à pied » la plupart de son personnel, nouvelle que nous avons annoncé dans l’une de nos précédentes éditions.
En elle-même, la chose est fort simple. Aucun concours financier ne peut être accordé par les banques aux usines Rocher du fait de l’indivision État-Consorts Rocher existant.
A notre époque, toute grosse affaire industrielle a besoin , à un moment ou à un autre de crédits lui permettant, soit de boucler une échéance, soit d’effectuer des achats pressants.
C’est ce qui vient d’arriver.
N’ayant pas touché leur répartition normale d’aluminium, les usines Rocher n’ont pu construire le mois dernier que 500 moteurs au lieu de 2.000 prévus et commandés. Elles ont cependant acheté les pièces nécessaires qui n’ont pas encore été utilisées, d’où découvert non compensé par une vente qui ne peut avoir lieu, les moteurs n’étant pas construits.
En d’autres cas pour une affaire jouissant d’un régime normal, l’opération eût été très simple. Un établissement de crédit eût avancé les fonds nécessaires lesquels auraient été remboursés quelques jours après.
Mais nous avons dit plus haut que l’indispensable concours financier ne peut être obtenu.
L’indivision c’est la communauté de biens État-Consorts Rocher, l’État ayant 30 millions de confisqués à son profit par décision de la Cour de Justice.
La suppression de l’indivision réclamée unanimement
La solution ? Elle est dans le retour au cours normal des choses et il est nécessaire que l’indivision disparaisse.
Le Tribunal correctionnel de Châtellerault, ayant constaté que l’indivision demeurait, bien que M. Rocher eût repris la direction de ses usines, celui-ci, par l’intermédiaire de ses avocats, a interjeté appel. La Cour doit rendre son arrêt sous peu et il est possible qu’elle décide la suppression de l’indivision, d’ailleurs réclamée par les ouvriers, les syndicats, les Comités sociaux, le Comité d’entreprise, l’administrateur provisoire, M. Court, avec lequel nous avons pu nous entretenir, Me Parthenay, le Conseiller général du canton.
La municipalité de Cenon a voté le 10 novembre à l’unanimité (y compris les voix communistes), une motion demandant l’amnistie de M. Maurice Rocher.
Les parlementaires de la Vienne ont été alertés et tentent de régler l’affaire en haut lieu.
Bref, tout le monde se rallie à la seule solution qui permettrait à l’usine de tourner normalement.
La situation mardi
Quoiqu’il en soit, le décision de mise à pied de la plupart du personnel que nous avons annoncée hier n’a pas été rapportée et voici qu’elle était la situation mardi soir.
Au cours de la journée, il avait été procédé, à l’usine, à la désignation des ouvriers et employés devant poursuivre leur travail.
Durant ce temps, une délégation des ouvriers, conduite par Me Parthenay, conseiller général du canton, se rendait successivement à la Sous-Préfecture de Châtellerault, à la Préfecture de la Vienne et à la Direction de la Main-d’œuvre.
A la Préfecture de la Vienne, la délégation fut reçue par M. Aubert, secrétaire général. En effet, M. le Préfet de la Vienne était parti précipitamment pour Paris afin de trouver une solution à cette importante affaire. C’est auprès du Ministère des Finances que M. Thomassin cherche cette solution car les difficultés viennent de ce ministère, celui de la Justice étant d’accord pour l’amnistie.
Le personnel sera à son poste ce matin
La délégation fit part à M. Aubert de ses décisions qui sont :
1) Mercredi matin, réunion du personnel à l’usine.
2) Si l’usine est fermée, pénétrer même dans l’usine pour la faire tourner.
Car les ouvriers, dans leur ensemble, ont décidé de travailler quoi qu’il arrive et malgré les décisions prises par la direction de l’usine.
Ils seront tous à leur poste mercredi matin.
Une motion
Ils ont d’ailleurs voté une motion qui a été remise aux Pouvoirs publics et que nous publions ci-dessous :
« Considérant que la mise en chômage partiel du personnel des Établissements Rocher n’était possible qu’après le respect d’un préavis normal, qu’après accord des intéressés ;
« Ces conditions n’ont pas été respectées, ce qui équivaut à une mesure autoritaire ayant le caractère d’un look-out ; que ce n’est pas le manque de travail qui justifie cette mesure ; que, de ce fait, il serait particulièrement criminel envers les usines et nous tous de payer les préavis sans faire travailler (solution à laquelle le Directeur s’est en fait ralliée) ;
« Que le Comité de défense, avec l’accord unanime du personnel présent à l’Assemblée générale du personnel tenue le lundi 12 novembre 1951, à la cantine, décide (comme premières mesures) :
« Que le personnel travaillera normalement pendant la durée du préavis, c’est-à-dire jusqu’au lundi 19 novembre à midi, pour les ouvriers et mercredi 12 décembre pour les mensuels ;
« Que des démarches pressantes seront faites auprès des Pouvoirs publics, parlementaires et toutes personnes ou organisations susceptibles d’intervenir dans le but d’éviter complètement la mise en chômage par l’adoption de mesures visant à ce but ;
« Que chaque soir à la sortie à 18 h 15, une réunion aura lieu pour rendre compte de l’action réalisée dans la journée par le Comité de défense ;
« Que cette défense étant celle de tout le personnel, les frais engagés seront couverts par les fonds du Comité d’entreprise à charge pour celui-ci, s’il n’y a pas assez, d’exiger de la Direction une partie des sommes énormes qu’elle doit en fait au dit Comité ».
Des secours aux ouvriers en chômage
La délégation – nous l’avons dit – s’est également rendue à la Direction du Travail et de la Main-d’Œuvre où ils ont également fait part de leurs décisions.
Cette administration, quant à elle, a examiné de très près le cas des ouvriers mis à pied.
Les fonds de chômage ont un caractère municipal et les ouvriers habitant Poitiers ou Châtellerault seront inscrits à ces fonds de chômage. Quant à ceux demeurant dans les communes rurales, ils n’y ont pas droit et, de ce fait, leur situation est délicate. Cependant, il est probable qu’ils toucheront une allocation, laquelle, hélas ! risque d’être très faible.
Précisons que la fonderie du Pont-Neuf à Poitiers (Lucet), annexe des usines Rocher, est placée sous le même régime que les usines de Cenon et que de nombreux ouvriers y sont mis à pied.
Ajoutons que plusieurs usines travaillant pour le compte de Cenon (à Poitiers et à Châtellerault notamment), connaissent des difficultés du fait de l’arrêt des commandes et que de nouveaux débauchages sont à craindre.
Voici le tour d’horizon effectué. Il nous reste maintenant à attendre les évènements, la décision qui ne manquera pas d’être prise en haut lieu… et l’heure de l’embauche mercredi matin à Cenon.
Le Maire de Châtellerault intervient au Ministère de la Justice
Nous apprenons que dans le courant de l’après-midi, M. Ripault, maire de Châtellerault, s’est mis par téléphone en rapport direct avec le Ministère de la Justice.
Il a demandé que soit mis fin le plus tôt possible à la situation créée par l’indivision en faisant ressortir les avantages qui pourraient en résulter.
D’autre part, il a insisté pour qu’en aucun cas, la force armée n’intervienne si les usines étaient occupées car le seul désir des ouvriers est de maintenir le potentiel d’activités de ces usines et de respecter les commandes enregistrées.
Les usines ouvertes jusqu’à lundi
En dernière heure nous apprenons qu’à la suite de l’intervention des Pouvoirs publics et principalement du Préfet auprès de la direction des usines, celles-ci resteront ouvertes jusqu’à lundi prochain inclus. On espère que d’ici là une solution sera apportée à ce douloureux problème.
le 11/04/2021 à 10:05
Source : Le Libre Poitou
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