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0039504/12/1905POITIERS

Grève des boulangers

Dimanche dernier à 4 heures de l'après-midi a eu lieu, sous la présidence de M. Deschamps la réunion générale des ouvriers boulangers (...)

Dès 3 heures les ouvriers arrivaient par petits groupes à la Bourse du Travail. Ils discutaient avec une certaine animation. Les termes de la lettre que M. Meunier, président du syndicat des patrons boulangers a adressé à M. Deschamps étaient surtout très commentés. Les ouvriers que nous avons vus se montraient assez peu satisfaits de la réponse du président du syndicat des patrons boulangers.

La séance est ouverte au milieu d'une vice agitation. De nombreux cris de « Vive la grève !!! retentissent. M. Limousin, secrétaire général de la Bourse du Travail intervient alors. Il obtient un calme à peu près complet. Il s'efforce de montrer aux ouvriers qu'ils doivent bien mûrir la décision qu'ils vont pendre. Il les engage à réfléchir, à envisager froidement la situation sans se laisser influencer par des considérations d'ordre privé. La grève est une chose trop grave, dit-il, pour qu'on puisse décider d'y avoir recours sans s'être entouré de tous les éléments d'appréciation dont dispose le syndicat. Tout doit être fait, dans la mesure du possible, pour l'éviter.

Plusieurs ouvriers répondent au secrétaire général qu’il faut en finir, que les patrons abusent de leur situation et outrepassent leurs droits. La situation, à leur avis, n'est plus tolérable.

Il est alors donné lecture de la réponse que certains ouvriers proposent d'adresser à M. Meunier.

En voici le texte :

"A M. Meunier, Président du syndicat des patrons boulangers de Poitiers.

"Monsieur,

"C'est avec surprise que les ouvriers boulangers ont lu la lettre que vous avez adressé à notre secrétaire.

"Nous devons en rectifier les termes. Sur votre demande, le 29 octobre dernier, le syndicat des ouvriers boulangers se réunissait et désignait cinq délégués pour s'entendre avec vous pour l'élaboration d'un nouveau tarif réglant les conditions de travail dans notre corporation. A la suite d'une entrevue que ces délégués ont eue avec vous il avait été formellement convenu que vous convoqueriez les patrons boulangers pour le samedi 18. Ce jour lorsque les délégués se présentèrent vous leur avez déclaré que la réunion était remise au mardi 21 ; ce jour vous remettez la réunion au mardi 28. Confiants en votre promesse les délégués avaient convoqué leurs camarades pour leur donner connaissance de votre réponse. Les réponses étant toujours en ajournement, notre dignité, l'intérêt de nos camarades, ne permettaient pas d'attendre plus longtemps aussi le projet de tarif fut-il adressé à tous les patrons boulangers. C'est ce qui a soulevé votre colère et vous fait nous accuser de mauvaise foi et de déloyauté en prétendant que nous voulons la ruine des petits patrons au profit des gros.

"Ce tarif nous étions prêts à le discuter, des modifications pouvaient y être apportées, cela d'un commun accord.

"Vous pouviez et vous aviez le devoir de nous présenter, vous, l'initiateur, le promoteur du mouvement actuel, un projet de tarif. Vous ne l'avez pas fait. Vous saurez, Monsieur, que nous ne permettons à personne de douter de notre bonne foi et de notre loyauté. Nos revendications ont été acceptées par bon nombre de patrons. D'autres l'accepteraient s'ils n'étaient pas liés avec vous. Tous pourraient le faire si un certain nombre ne se faisaient pas une concurrence déloyale, livrant à des catégories de la population aisée le pain au-dessous du tarif payé par la classe ouvrière et laborieuse, cela au détriment des consommateurs en général et des ouvriers boulangers en particulier à qui ils voudraient en faire supporter les conséquences. Ceci nous ne pouvons l'admettre. Loyalement nous vous avons soumis nos revendications et loyalement nous sommes prêts à les discuter avec les délégués des patrons, mais nous ne voulons plus d'ajournement.

"Veuillez agréer nos salutations.

"Pour la réunion et par ordre ; le président de séance, Deschamps.

 

Les termes de cette lettre mis aux voix sont adoptés après une longue discussion. La grève immédiate est ensuite réclamée.

A nouveau le secrétaire général de la Bourse du Travail intervient. Il estime que le vote auquel il va être procédé doit avoir lieu à bulletin secret. De cette façon chacun conservera la liberté absolue de son vote qu'on soit pour ou contre la grève immédiate. Le secrétaire général de la Bourse du Travail ne veut pas que sa présence puisse avoir une influence quelconque sur la décision qui va être prise. Il dit qu'il assurera ce soir une permanence à la Bourse de 8 h à 11 h.

Les ouvriers se rangent au sage avis de M. Limousin. Le scrutin secret est décidé. On procède au vote. A l'unanimité la grève immédiate est déclarée.

Le soir à 9 h les ouvriers étaient de nouveau réunis à la Bourse. Ils désiraient des patrouilles de nuit afin d'inviter les ouvriers demeurés chez les patrons à abandonner le travail et à se joindre aux grévistes. Le grand calme était recommandé à ceux-ci qui promettaient de manifester sans troubler l'ordre public.

Bon nombre d'ouvriers qui n'assistaient pas à la réunion avaient déjà cesser le travail. D'autres au passage des patrouilles l'abandonnèrent à leur tour.

Le travail fut ainsi suspendu complètement dans les maisons suivantes : Champion, Lavril, Jeanne, Bonnin, Defaye, Simoneaux, Leserre, Tranchant, Pourpart, Pain, Cousin, Pichot, Guionnet.

Dans les autres maisons il n'aurait été suspendu que partiellement et assuré par les patrons eux-mêmes. Les grévistes ont parcouru les rues en chantant l'Internationale et en criant : « Vive la grève, c'est la grève qu'il nous faut ! », Ils se sont bornés à cette seule manière de manifester et ne se sont livrés à aucun acte de violence.

Ce matin ils ont repris les manifestations, drapeau rouge en tête.

Devant les bureaux de l'Avenir, vers 11 h ils ont entouré la voiture de M. Vardy, boulanger, pour inviter l'ouvrier de ce dernier à se joindre à eux. Ils ont fait, devant chez M. Pineau, une même tentative.

Les grévistes ont ensuite placardé sur les murs de la ville l'affiche suivante :

CHAMBRE SYNDICALE DES OUVRIERS BOULANGERS DE POITIERS RÉUNION GÉNÉRALE DES OUVRIERS BOULANGERS.

Lundi 4 décembre à 3 h de l'après-midi à la Bourse du Travail

Ordre du jour :

Situation des ouvriers boulangers, appel à l'arbitrage.

Dans l'intérêt général de la corporation tous les grévistes et non-grévistes doivent assister à cette réunion.

Signé, la Commission.

 

Cet après-midi à 3 heures les grévistes se rendent en cortège à la Bourse. Ils sont calmes. De temps en temps certains poussent quelques cris de « Vive la grève ! »,

Dans leur réunion les grévistes ont voté la continuation de la grève. Un comité directeur de cinq membres a été nommé. Une lettre à monsieur le Juge de Paix a été rédigée. L'arbitrage est demandé. Les membres du comité directeur ont été chargés de négocier.

Demain après-midi nouvelle réunion à 3 h.

Aux abords de la Bourse du Travail quatre agents et deux gendarmes se promènent à pas lents. A 4 heures les grévistes quittent la Bourse. Ils sont suivis par les gendarmes et les agents.

Nous apprenons que le syndicat des patrons aurait demandé à l'autorité militaire de mettre à sa disposition un certain nombre de soldats. L'autorité aurait acquiescé à cette demande.

 

 

 

 

le 07/04/2020 à 18:14

Source : L'Avenir de la Vienne

grève, boulanger, manifestation

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