0039606/12/1905POITIERS
Hier soir de 8 h à 9 h les grévistes ont manifesté. Ils ont passé dans diverses rues en chantant la Marseillaise et les Montagnards. En descendant la Grand Rue ils ont conspué M. Meunier, président du syndicat des patrons boulangers.
Les ouvriers étaient suivis par une patrouille du 20e d'artillerie comprenant 12 hommes sous la conduite d'un brigadier. De nombreux agents et quelques gendarmes escortaient en outre les grévistes. Ceux-ci se sont séparés au Pont Joubert.
Aux abords de la Bourse du Travail deux gendarmes et quatre agents ont stationné jusqu'à 11 heures. On ne nous signale aucun acte d'hostilité à la charge des grévistes pour la nuit dernière.
Ce matin, malgré quelques altercations, très anodines d'ailleurs, se sont produites entre grévistes et non-grévistes. Il y a eu des échanges de mots. Les grévistes reprochaient généralement à ceux qui ne les avaient pas suivis de n'être pas des « hommes », à quoi les autres répondaient qu'ils étaient « dans leur droit ». Puis chacun reprenait son chemin en haussant les épaules.
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A 10 h 1/2 une entrevue a eu lieu à la préfecture en présence de M. Berseville, préfet de la Vienne, entre MM. Deschamps secrétaire de la chambre syndicale des ouvriers boulangers, Limousin, secrétaire général de la Bourse du Travail et Meunier.
MM. Deschamps et Limousin ont déclaré que les ouvriers étaient partisans de l'arbitrage. M. Meunier n'a voulu prendre aucun engagement. Il s'est plaint surtout d'avoir été injurié. Bref aucune décision n'a pu être prise.
A l'heure, à peu près, où cette entrevue avait lieu M. le Juge de Paix du canton nord faisait placarder l'avis suivant :
"Vu la loi (...)
"Vu la déclaration à lui faite par messieurs 1) Brillouet, rue de Montbernage ; 2) Deschamps, rue de la Croix rouge ; 3) Laurentin, rue du Puits de la Caille ; 4) Mezille, côte de Montbernage et Villain, délégués ouvriers boulangers, tous commune de POITIERS
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Le Juge de Paix, A. Giraud
Le secrétaire général de la Bourse du Travail a fait des démarches auprès de M. le Préfet et de M. le Maire pour obtenir la suppression de l'escorte de gendarmes et d'agents suivant les grévistes dans leurs manifestations. Il a obtenu satisfaction.
L'Avenir a annoncé hier que les patrons boulangers avaient demandé à l'autorité militaire qu'un certain nombre de soldats fussent mis à leur disposition pour la fabrication du pain. Le fait est exact.
M. le Général commandant d'armée, dès qu'il eut pris connaissance de la demande des patrons boulangers, se rendit à la Préfecture et eut un entretien avec M. le Préfet. M. le Préfet déclara qu'il estimait qu'il n'y avait pas lieu de faire, pour l'instant du moins, droit à la requête adressée à M. le Commandant d'armée. Aussi bien aucun soldat n'a été mis à la disposition des patrons boulangers.
Cet après-midi, à 2 h., les grévistes se sont de nouveau réunis à la Bourse du Travail. Ils ont décidé la continuation de la grève.
A 3 h 1/2 la séance est terminée. Les grévistes parcourent les rues en cortège en chantant « les traîtres on les pendra », Ils ne sont escortés d'aucun représentant de la force publique.
UNE DÉCLARATION DE M. MEUNIER
Ce soir, à 4 h 1/2 nous avons reçu, dans les bureaux de l'Avenir, la visite de M. Meunier, président du syndicat des patrons boulangers. M. Meunier nous a fait la déclaration suivante :
"M. le Préfet m'ayant fait demander je suis allé, ce matin à la préfecture. J'ai d'abord conversé avec M. Berseville puis j'ai demandé à avoir un entretien, en sa présence, avec MM. Deschamps et Limousin. "Ces messieurs, qui étaient également à la préfecture, ont alors été introduits dans le cabinet de M. le Préfet.
"J'ai fait observer à M. Deschamps que je ne répondrai pas à sa lettre parce qu'elle était pleine d'inexactitudes et que je ne l'ai pas reçue, seule la presse en a eu communication.
"M. Deschamps a reconnu, devant M. le Préfet que je disais la vérité.
"Le 27 octobre, poursuit M. Meunier, je reçus la visite de M. Beauchamp, délégué ouvrier qui me parla des revendications de la chambre syndicale. Je lui donnai de bons conseils et certaines explications qui me parurent devoir lui être utiles, mais je ne le fis qu'en mon nom propre n'ayant point mandat pour parler au nom du syndicat des patrons.
"Pendant que je m'entretenais avec M. Beauchamp, M. Servant passa. Je le priai d'entrer et il assista à la fin de notre entretien.
"J'en suis bien heureux aujourd'hui, au lieu de n'avoir que mes dénégations personnelles à opposer aux ouvriers qui disent que je suis l'auteur de la grève, j'aurai, quand on le voudra, la parole de M. Servant pour confirmer la mienne.
"M. Servant viendra dire que je n'ai donné que de bons conseils et que je me suis contenté d'exprimer mon désir de me rendre aux réunions des ouvriers. D'accord avec M. Beauchamp nous devions, M. Servant et moi, aller à une réunion d'ouvriers qui devait avoir lieu le dimanche suivant, 29. Or nous n'avons jamais entendu parler de cette réunion.
"En ce qui concerne l'entrevue de ce matin à la préfecture, j'ai accepté, sur la demande de M. le Préfet, l'arbitrage de M. le juge de Paix. J'ai déclaré que je serai heureux de voir ce conflit prendre fin par cette solution.
En se retirant M. Meunier nous dit :
"On veut que je sois l'initiateur d'un mouvement que je n'ai pas provoqué.
Nous croyons savoir que certains patrons boulangers auraient refusé de vendre du pain à des grévistes.
le 07/04/2020 à 18:40
Source : L'Avenir de la Vienne
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