0044009/07/1906POITIERS
BOURSE DU TRAVAIL - DISTRIBUTION DES RÉCOMPENSES
Hier après-midi, à 2 heures, a eu lieu dans la salle des fêtes de l'Hôtel de Ville, précédée d'une très intéressante exposition de travaux, la distribution des récompenses aux apprentis les plus méritants suivant les cours professionnels de la Bourse du Travail.
M. Keufer, vice-président du Conseil supérieur du travail, préside cette solennité, ayant à sa droite MM. Thézard, sénateur de la Vienne ; Trigant-Geneste, secrétaire général de la Préfecture ; Limousin, secrétaire général de la Bourse du Travail ; et à sa gauche MM. Mérine, maire, et Metayer, conseiller général du canton sud.
Dans l'assistance nous remarquons: MM. Surreau, ancien maire, conseiller municipal; Niveaux, Conseiller général du canton de St-Julien-l'Ars ; Welsch, professeur à la faculté des sciences, conseiller municipal ; Georgel, avocat-conseil de la Bourse ; Ollivier, Dupin, conseillers municipaux ; Aubertie, Inspecteur du travail; Ogier, Juge au tribunal de Commerce ; Rouchier et Pautrault, président et vice-président de l'harmonie (d'Union Poitevine» qui prête son gracieux concours à la fête ; Bouteland, conseiller général du canton de Monts-sur-Guesnes ; etc ...
Plusieurs étudiants, membres de l'Association générale, assistent également à cette fête du travail, heureux d'affirmer leur solidarité avec leurs frères ouvriers.
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Puis M. Keufer donne la parole à M. Fouquet, trésorier de la Bourse du Travail, qui lit le rapport suivant, œuvre du très dévoué secrétaire général de la Bourse, M. Limousin.
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"Chaque année l'exposition des travaux des jeunes élèves des cours professionnels de la Bourse du Travail nous procurent plus de joie, plus de contentement et plus de satisfaction. C'est avec le plus grand plaisir que nous voyons revenir cette date où nous pouvons récompenser nos jeunes élèves de leur labeur et de la peine qu'ils se sont donnée. Elle nous permet également de montrer à tous ceux qui s'intéressent à cette question si importante de l'apprentissage, question primordiale pour l'avenir de notre industrie, les progrès réalisés et de constater ainsi les efforts que nous faisons tous, professeurs et membres des syndicats, pour justifier la confiance que les pouvoirs publics, le Conseil municipal, le Conseil général, nous accordent si généreusement. Cette cérémonie nous permet aussi de vous remercier, Monsieur le Maire, ainsi que toute l'administration municipale, du bienveillant empressement que vous mettez à faciliter notre tâche en mettant ces belles salles à notre disposition, ainsi que Monsieur le Préfet, dont nous regrettons l'absence, mais dont l'aide et les conseils ne nous ont jamais fait défaut
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« Tous vous savez que la tâche que nous avons entreprise est des plus belles et des plus utiles. Partout le même cri d'alarme est jeté : les capacités professionnelles diminuent et cependant les ouvriers français n'ont pas dégénéré, ils ont comme autrefois le même amour de leur métier, la même ardeur au travail. Cela tient à ce que l'ancien apprentissage, tel qu'il existait jadis, n'est plus qu'à l'état de souvenir. Les corporations, les jurandes, les maîtrises qui formaient les apprentis, ont disparu. Longtemps encore l'apprentissage a continué, le patron était fier de l'apprenti qu'il formait, patrons et ouvriers ne formaient le plus souvent qu'une seule famille. Aujourd'hui la grande industrie est venue qui a tout modifié, l'apprentissage actuel n'a plus aucun rapport avec celui du passé.
« M. ROCHERON, Inspecteur de l'Enseignement manuel des Écoles de Paris, dans un rapport à la Ligue de l'Enseignement, le constate en termes malheureusement trop exacts. Il dit : « Chacun connaît les conditions déplorables dans lesquelles se fait l'apprentissage à l'heure actuelle. Les apprentis, dans les trop rares ateliers où les patrons veulent bien encore les recevoir, perdent une année, occupés à toutes sortes de besognes qui n'ont rien de commun avec les connaissances nécessaires à l'exercice du métier et dans les années suivantes, quand, après avoir suffisamment regardé travailler, ils ont une place à l'établi ou à l'étau, ils sont souvent confinés dans une spécialité où ils deviennent rapidement assez habiles pour que leur travail ait une valeur appréciable. Mais l'apprentissage terminé ils n'ont qu'une connaissance imparfaite et incomplète de la profession qu'ils ont choisie. « C'est maintenant un lieu commun de dire qu'on apprend plus d'une façon satisfaisante un métier quelconque dans un atelier seul. On peut y devenir un praticien habile dans le maniement d'un certain nombre d'outils, exécutant vivement et convenablement une spécialité déterminée, produisant avec une rapidité quelquefois incroyable, un grand nombre de pièces semblables, mais on ne saurait prétendre que cette habilité d'exécution suffise à l'ouvrier moderne. L'ouvrier ainsi formé est tout au plus une machine perfectionnée qui accomplit d'une façon automatique des mouvements toujours semblables sans que l'intelligence et la réflexion y prennent part. Un jour ou l'autre cet ouvrier sera remplacé par une machine véritable, exécutant plus rapidement encore et d'une façon plus parfaite et par conséquent plus économique, les pièces détachées qui constituaient sa spécialité. Partout où l'exécution du travail nécessite un mouvement toujours semblable, précis, sûr et rapide, la machine-outil remplace la main du travailleur (...)
« En revanche on ne saurait se passer du producteur humain quand il s'agit d'exécuter une pièce qui exige le concours de l'intelligence, de la réflexion et l'application de connaissances scientifiques exactes.
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« Ce n'est plus seulement de praticiens habiles dont l'industrie moderne a besoin, mais d'ouvriers adroits, aptes à exécuter les travaux variés d'une même profession ou d'un groupe de professions similaires (...). En plus de cette adresse manuelle il faut que ces ouvriers aient l'intelligence ouverte, qu'ils sachent tracer, qu'ils puissent lever un plan, qu'ils soient capables de modifier leur outillage afin de l'adapter à un rendement déterminé, en un mot qu'ils aient des connaissances techniques variées et précises.
« A quelle source les apprentis peuvent-ils puiser ces connaissances indispensables ? Quels moyens a-t-on mis à leur disposition pour qu'ils puissent acquérir cette instruction et cette éducation techniques ?
« Deux moyens se présentent : former dans des écoles professionnelles des ouvriers d'élite, mais elles seront en nombre insuffisant ; ou bien appeler dans des cours spéciaux un grand nombre d'ouvriers et leur faire acquérir les connaissances techniques indispensables. Il n'y a pas de temps à perdre si l'on veut conjurer la défaite dont nous sommes menacés sur le terrain de la production en général.
« Notre pays s'est imposé, à son honneur, depuis un certain nombre d'années, pour répandre l'instruction, les sacrifices les plus considérables. L'État a ouvert à toutes les intelligences toutes les carrières, excepté la carrière ouvrière (...).
Nous avons voulu prendre place aux côtés de ceux qui luttent pour remédier à cette situation, nous avons créé des cours professionnels commencés bien modestement en 1902 par le syndicat des ouvriers Serruriers ; ils se composaient, au début, de deux cours seulement, l'un de serrurerie, l'autre de mécanique et de machines. Le succès fut rapide ; le dévouement des professeurs et la sympathie des pouvoirs publics permirent à la Bourse du Travail d'augmenter le nombre de ses cours. Nous avons, aujourd'hui, la satisfaction de les voir de plus en plus régulièrement fréquentés par un grand nombre de jeunes ouvriers et apprentis qui ne craignent pas de venir, après une dure journée de labeur, compléter leur instruction professionnelle, donnant ainsi un exemple d'énergie que l'on ne saurait trop admirer, mais qui les armera pour la lutte pour la vie et fera d'eux de bons ouvriers en pleine possession de leur métier et connaissant toutes les habilités, faisant vite et bien.
L'année dernière nous vous disions : « Notre idéal est, pour l'ouvrier, une éducation plus complète, plus rationnelle, il a droit à des connaissances plus étendues ; on doit élever son niveau moral et intellectuel et lui donner non seulement plus de force physique ou musculaire pour produire mais aussi une force morale et intellectuelle qui en fasse un vrai citoyen, un homme libre ».
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Ce rapport est très longuement applaudi.
M. Aubertie, Inspecteur départemental du travail, prononce ensuite un éloquent discours (...)
M. Mérine, maire, dans une courte allocution assure les zélés professeurs de la Bourse du Travail de toute la sympathie de l'unanimité du Conseil municipal.
M. Keufer prend la parole.
Il rappelle qu'il vint, il y a six ans, inaugurer la Bourse du Travail. Il est heureux de constater aujourd'hui le degré de prospérité qu'a su atteindre l'œuvre ouvrière. Cette prospérité, elle est due sans doute au dévouement inlassable de plusieurs militants, mais plus particulièrement à l'activité éclairée de M. Limousin, vieil ami de l'orateur.
M. Keufer parle ensuite des connaissances nécessaires à tout apprenti qui vise à devenir un bon ouvrier. Le perfectionnement physique ne suffit pas, il faut le perfectionner par le savoir technique.
« Nous n'avons plus de bons ouvriers !» Voilà le cri chaque jour répété par les patrons et il l'est avec raison. L'orateur montre les phénomènes industriels qui ont créé cette situation.
La transformation complète des moyens de production a fait que l'ouvrier a cherché à se spécialiser et a été conduit à cette division du travail qui diminue sa valeur professionnelle et augmente son insécurité.
il faut réagir contre une telle situation et M. Keufer détermine le rôle tant du patron que de l'ouvrier pour arriver à une réaction satisfaisante.
Il faut étendre à plus grand nombre les bienfaits des cours professionnels en établissant un cours dans toutes les catégories de métiers.
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Nos industriels, dit-il en terminant, ont intérêt à seconder - et les industriels allemands l'ont bien compris - les efforts si désintéressés des professeurs qui ont assumé la lourde tâche de donner aux jeunes apprentis un enseignement technique qui en fera des ouvriers capables.
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le 10/04/2020 à 18:44
Source : L'Avenir de la Vienne
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