« Retour

0470108/11/1958POITIERS

LA VIENNE EN PERTE DE RICHESSES

Le grand courant industriel qui, au XIXe siècle, transforma l’économie française, évita soigneusement le Centre-Ouest. La Vienne, comme les départements voisins, ne possédait ni fer, ni charbon, c’est-à-dire ni matière première ni énergie. Pourtant, depuis cent ans, un certain nombre de chances nous furent offertes que nous n’avons pas – il faut bien le constater – su saisir.

La première de ces chances nous fut offerte par le développement des transports et en particulier des chemins de fer. Il aurait été possible alors d’installer sur place des entreprises et notamment des industries de transformation, qui auraient fourni un débouché à la main-d’œuvre locale et alimenté les besoins du marché. Nous ne l’avons pas fait.

L’électricité nous apportait une seconde chance : une forme nouvelle d’énergie utilisable loin de la source. Il faut bien le dire que là encore, parce que nous ne possédions pas sur place de débouchés suffisants, parce que les ressources fournies par l’agriculture paraissaient suffisantes pour une population en continuelle régression depuis 1890, nous n’avons pas su saisir cette nouvelle occasion d’un renouveau de notre région.

La troisième chance

Actuellement, les transformations profondes de notre économie industrielle, les nécessités impérieuses d’une décentralisation, nous offre une troisième chance. Saurons-nous la saisir ? Et d’abord, où en sommes-nous ?

Un chiffre d’abord qui montre la gravité de notre situation : la participation de la Vienne à l’industrie nationale est dérisoire : 0,25 % de l’ensemble ! Nous approchons dangereusement de ce fameux « désert français » signalé par les économistes. Et encore, ce chiffre, malgré sa faiblesse, ne peut pas donner une idée vraie de la position exacte de notre département. Lorsque les statistiques parlent, pour notre région, d’établissements industriels, cela signifie en réalité, le plus souvent : ateliers de réparation, garages ou bien petites industries artisanales : bottier, cordonnier, tailleur, maréchal-ferrant.

Petite industrie

Vingt usines seulement emploient plus de cent ouvriers et, si l’on excepte deux « industries » à caractère partiellement artificiel (la Manufacture d’Armes de Châtellerault et les « bases alliées » de Saint-Ustres et de Poitiers), une seule emploie plus de 500 ouvriers (Leclanché).

Les entreprises artisanales ou de caractère familial constituent donc la quasi-totalité. Ces petites installations, généralement dotées d’un outillage récent, donnent de bons résultats et leur rentabilité est parfois excellente. Mais, de par leur taille et leur importance elles ne peuvent pallier la diminution des revenus agricoles et maintenir le niveau de vie du département. En outre, elles sont insuffisantes pour offrir aux jeunes des débouchés importants et d’avenir qui les maintiendraient sur leur sol natal.

Le tiers de la main-d’œuvre du secteur industriel est employé dans le bâtiment et les travaux publics qui sont en plein développement et dont le chiffre d’affaires à presque triplé depuis 1950.

Plus spectaculaire encore est le développement du bois, du meuble en particulier, mais son influence apparaît réduite puisqu’elle n’occupe que 1.200 personnes environ.

Pour compléter ce rapide tableau, il faudrait ajouter une progression nette, mais insuffisante, des industries métallurgiques et un marasme certain dans les industries alimentaires.

Et plus petit commerce

Si l’on passe au secteur commercial, les perspectives n’apparaissent pas plus favorables. Notre département compte environ 7.000 établissements commerciaux (y compris les banques et les entreprises de spectacles), mais 5.000 d’entre eux n’occupent qu’une seule personne. C’est le cas, par exemple de la plupart des épiceries, café et des marchands forains.

Prise au sens large, les activités commerciales de la Vienne (y compris les transports) occupent seulement 12 % de la population active. Ce rapport est très faible. Le chiffre correspondant sur le plan national se situe, en effet, autour de 18 %. Si l’on admet que la prospérité des commerçants traduit en fait la prospérité des autres classes sociales, il nous faut conclure que le Poitevin est moins riche que le Français moyen.

Sous emploi de main-d’œuvre

Autre symptôme caractéristique de l’état de santé inquiétant de notre département : le sous-emploi d’une partie de la main-d’œuvre.

Certes, les chiffres officiels de chômage sont heureusement loin d’être dramatiques : 55 chômeurs totaux, 150 personnes en chômage partiel dans une dizaine d’entreprises. Mais le tableau que nous publions ci-dessous montre d’une part la progression constante depuis deux ans du nombre des demandes d’emploi en même temps qu’une régression tout aussi constante des offres d’emploi.

                                                      1956    1957   1958 (dix mois)
Demandes d’emploi                        704      827        1068
Offres d’emploi                               125      100            50
Placement                                      323      225          158

Mais ces chiffres – pour symptomatiques qu’ils soient – ne donnent qu’une idée partielle de notre régression économique.

Beaucoup de jeunes ouvriers qui se sont qualifiés par un passage dans une école professionnelle ou un centre de formation professionnelle, sont contraints d’émigrer faute d’emploi. D’autres, embauchés par des entreprises de bâtiment ou de travaux publics qui effectuent des travaux temporaires dans notre région, suivent ensuite le sort itinérant de leur maison.

De plus, il existe une réserve importante de main-d’œuvre féminine inemployée. Les services officiels l’estiment facilement à plusieurs milliers de personnes qui n’attendent que l’implantation d’industries nouvelles pour solliciter un emploi. On nous a même cité le cas d’une fabrique qui envisageait son implantation dans la région et qui dès maintenant a reçu 400 demandes d’embauches formulées par des femmes.

La richesse s’en va !

Le résultat de cette situation : la richesse de notre département a diminué de 1 % en un an ! Celle de Poitiers est passée de 75,6 en 1950 à 67,4 en 1957.

Le résultat, c’est aussi cet article que nous avons publié le 4 novembre et qui signalait que sur les 822 habitants de Sillars (petite commune entre Montmorillon et Lussac), 70 avaient plus de 70 ans. Et à cette information fait écho une lettre de Raslay (canton des Trois-Moutiers) qui nous apprend que le « record » est largement battu puisque sur 134 habitants, 39 ont plus de 70 ans.

La France est en marche pour devenir un pays jeune, la Vienne, elle, semble au contraire, en marche pour devenir un département vieux.

C’est là peut-être le signe le plus inquiétant de notre régression.

Il n’est que temps de renverser la vapeur. Nous pouvons le faire, nous verrons bientôt pourquoi et comment.

 

 

le 10/08/2021 à 16:39

Source : Le Libre Poitou

activités

« Retour

Espace Militants v0.3 - UD CGT 86 - http://cgt-ud86.org

Site UD 86 - Espace militants - Espace formation