0480030/11/1959POITIERS
Dimanche à 10 heures, au Théâtre municipal de Poitiers, le Comité départemental d’Action Laïque, que préside M. Rousseau, tenait un grand meeting qui groupa plus de 1.500 personnes venues de tout le département. Cette manifestation se déroula dans l’ordre et le calme et se termina par un dépôt de motion à la Préfecture de la Vienne, où les sept délégués du Comité départemental furent reçus tandis que les participants à la manifestation défilaient dans le silence devant les grilles fermées de l’Hôtel préfectoral. Un important service d’ordre qui avait été mis en place ou en état d’alerte, n’eut à intervenir à aucun moment. La motion qu’on trouvera ci-dessous, résume l’ensemble des travaux du meeting, en même temps que la volonté affirmée des manifestants.
La motion
Voici le texte de la motion :
Mille cinq-cents citoyens du département de la Vienne, réunis à l’appel du Comité départemental d’Action Laïque et des organisations suivantes attachées à la Laïcité :
Ligue de l’Enseignement, Association des Parents d’Élèves des Écoles publiques, Syndicat national des Instituteurs, Fédération de l’Éducation Nationale, Parti Socialiste SFIO, Parti Communiste, Union de la Gauche Socialiste, Parti Socialiste Autonome, CGT, CGT-FO, Syndicat général de l’Éducation Nationale, Association Générale des Étudiants de Poitiers, Ligue des Droits de l’Homme, Libre Pensée, Union Rationaliste, Auberge Laïque de la Jeunesse, Maison des Jeunes, Éclaireurs de France, Loges Maçonniques, Syndicat national des Directeurs d’Écoles, Syndicat des Maîtres des Classes d’Application.
- renouvellent leur attachement à l’École Laïque, fondement de la République et de l’Unité Nationale ;
- exigent les crédits indispensables au plein épanouissement de l’Université Laïque ;
- et se déclarent opposés à toute subvention, sous quelque forme que ce soit, aux établissements scolaires confessionnels.
Le meeting
A 10 h. 15, M. Rousseau, président du Comité d’Action Laïque, entouré des membres du bureau et des représentants des organisations désignées dans la motion, prenait place sur la scène du Théâtre. Après avoir salué l’assistance et avoir présenté les excuses d’un certain nombre de personnalités universitaires et académiques, M. Rousseau donnait la parole à M. Bibault, secrétaire départemental du Syndicat National des Instituteurs.
L’exposé de M. Bibault
Le secrétaire départemental du SNI expose « la misère croissante de l’Université ». « Depuis dix ans, dit-il, nous dénonçons cette misère. L’Université vit à la petite semaine. Il lui faut pourtant tenir compte de deux impératifs : la natalité à son taux élevé, l’augmentation sensible du taux de scolarité. Or, aujourd’hui nous manquons de locaux et de maîtres qualifiés ».
Il analyse cette situation : « Dans l’enseignement primaire dans la Vienne, il y a 1.643 postes dont 1.346 sont pourvus. Il y 200 remplaçants, qui sont venus directement à l’enseignement, sans la formation pédagogique indispensable. J’admire, dit-il, le courage de ceux-là, car ils travaillent avec des salaires misérables, mais ils apprennent leur métier sur le dos de nos enfants. Dans les centres importants il est des classes qui comptent plus de 40 élèves qui deviennent alors des permanences.
« Pourtant, grâce aux municipalités rurales, les locaux se sont améliorés. Mais les cours complémentaires refusent des élèves. Pour ceux-ci, l’internat est indispensable, le ramassage des écoliers par des cars est anti-pédagogique. Nos E.N. sont insuffisantes. L’enseignement du second degré et technique connaît des difficultés insurmontables. L’on pénalise les enfants qui habitent loin du chef-lieu du département. Les centres d’apprentissage ne peuvent plus recevoir ceux qui veulent y entrer. En 1959, le Centre de Montmorillon a refusé 110 demandes. Et, si l’on veut connaître la situation de l’enseignement qu’on pratique, comme dans l’armée, la politique « de la porte ouverte ».
« A l’Université, dans le cadre de la Faculté des Sciences notamment, on assiste à des choses scandaleuses.
« Première conclusion : il faut construire vite, et quand l’on nous parle du problème scolaire en France, que nous considérons comme un pseudo-problème, nous sommes amenés à nous demander si cette misère de l’Université n’est pas voulue, si l’on ne veut pas que l’École confessionnelle soit le complément de l’École laïque.
« Aussi, contre le drame que nous vivons, il nous faut l’union de tous les laïcs, il nous faut des crédits, il ne faut point arrêter notre action, au contraire, la renforcer pour faire triompher l’École laïque qui est l’École de la République ».
M. Robert Chéramy, membre du Comité national d’Action Laïque
Professeur au Lycée Voltaire, à Paris, membre du Comité national d’Action Laïque, secrétaire général du Syndicat national du Secondaire, M. Robert Chéramy succède à M. Bibault pour déclarer : « A l’heure actuelle un nouveau combat commence pour nous, l’initiative n’est pas venue de nous, mais d’une confession qui réclament et revendique ».
Il parle de la Commission Lapie dont, dit-il, on ne connaît pas les conclusions « et qui a motivé un projet de loi qu’on ne connaît pas également ».
« Mais contre ce dernier, il y a des protestations véhémentes de la part des écoles confessionnelles et, ajoute t-il, ce projet prévoirait un contrôle de l’aide financière accordée. Or nos adversaires ne veulent pas de ce contrôle, dont ils disent qu’il serait une atteinte à la liberté de l’enseignement. Alors, on demande de l’argent, mais on refuse de dire comment on l’utilise.
« L’enseignement confessionnel vise à détruire son adversaire en le faisant disparaître comme un concurrent. Le véritable projet est que les enseignements public et confessionnel soient traités de la même façon. On réclame donc au gouvernement de détruire ce qu’il a créé. Cela signifie que la jeunesse de France sera partagée en deux. On veut isoler, on revendique d’enfermer des enfants dans le ghetto de la religion.
« Si l’on accorde ce privilège à une confession, pourquoi ne pas l’accorder aux autres ?
« La solution véritable, c’est l’École Laïque, fondée en des circonstances historiques, qui permet à tous de recevoir la même instruction ; elle permet à tous d’enseigner et d’être enseigné.
« C’est l’École de la Liberté que nous défendons en face de l’École de l’intolérance. La véritable École libre, c’est la nôtre.
« L’École publique a prouvé qu’elle était une solution et nous disons à ceux qui nous attaquent : Méfiez-vous de ne pas lier votre sort à un régime, à une solution politique qui ne durera pas. Car, il n’y a rien de solide qui se fasse en France contre le peuple.
« Aujourd’hui, nous disons, nous n’accepterons pas les mesures qui peuvent être prises ; nous les considérons comme nulles et non avenues. Nous engageons la résistance des laïcs.
« C’est pourquoi, devant cette situation, nous disons qu’il faut nationaliser l’enseignement. Seule l’école laïque est capable de recevoir toutes et tous.
« Il nous faut réaliser l’unité de l’École, l’École unique, qui sera l’École de la Liberté.
« Il ne saurait être question de compromis. Nous n’avons pas attaqué, mais l’École publique est victime d’une agression. Ce n’est pas nous qui avons pris l’offensive, l’initiative. En défendant l’École ouverte à tous, nous défendons l’intérêt de nos enfants et celui de la liberté.
« Notre mot d’ordre est : Une seule École accueillante à tous les petits Français.
A la suite de cet exposé, M. Rousseau donna lecture de la résolution qu’on lira ci-dessus, résolution qui fut adoptée à l’unanimité. Puis en cortège, les participants à ce meeting, se rendirent à la Préfecture, où leur délégation fut reçue.
le 02/09/2021 à 14:26
Source : Centre Presse
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