« Retour

0048128/10/1906POITIERS

LE REPOS HEBDOMADAIRE - EMPLOYES DE COMMERCE - MEETING

(...) les employés de commerce de notre ville se sont réunis, vendredi soir à la salle des Orphéons à l'Hôtel de ville, au nombre de 400 environ, parmi lesquels beaucoup de dames.

Derrière la tribune on avait placé une large bande de calicot sur laquelle était inscrite ces mots : « N'achetez pas le dimanche ».

On remarque la présence de M. Cibiel, député, et de MM. Dupin, Paime et Desmazeaud, conseillers municipaux. On procède à la formation du bureau qui est ainsi constitué : Président, M. Gravat, de la maison Paris-Poitiers ; assesseurs, MM. Barbreau, des Nouvelles galeries, et Géminet, de la maison Vannier ; secrétaire, M. Caillon, de Paris-Poitiers, secrétaire général du syndicat des employés.

M. Gravat prend la parole pour remercier ces collègues d'être venus en aussi grand nombre affirmer leurs droits. Cette séance, dit-il, la première qui soit organisée par les employés de commerce, a pour but de vous enseigner ce qu'est la loi sur le repos hebdomadaire. Cette loi n'est pas aussi complète que nous l'aurions voulu, toutefois elle nous donne à moitié satisfaction et nous devons nous incliner.

Depuis 11 ans nous demandions une 1/2 journée de repos par semaine. Certains patrons l'avaient accordée, d'autres s'y étaient énergiquement refusés. Quelques années après un nouvel essai fut tenté par le groupement syndical mais la nonchalance de nos camarades fut la cause de la chute du syndicat peu après sa formation. L'orateur poursuit en expliquant ce qu'est un syndicat et demande à ses auditeurs de ne pas se laisser effrayer par ce mot. Que demandent les employés ? Un peu de repos qui, après avoir réparé leurs forces, leur permette d'accomplir mieux leur besogne (...)

.../...

En terminant M. Gravat demande aux dames de s'abstenir de d'acheter le dimanche et fait remarquer aux employés que c'est à eux qu'il appartient d'exiger l'application intégrale de la loi.

M. Georgel s'exprime à peu près en ces termes.

J'étais venu simplement pour entendre le camarade Sellier qui, par suite d'un retard imprévu, n'arrivera que dans quelques instants.

.../...

Votre syndicat n'est pas isolé. Dans le prolétariat commercial, comme dans le prolétariat industriel, il y a des intérêts identiques qui vous obligent à marcher la main dans la main. N'oubliez pas qu'il ne faut pas toujours compter sur la bonne volonté, aussi bonne soit-elle, du législateur. Il vous appartient de compléter son œuvre. Il aurait pu faire une loi plus courte et plus simple, en deux articles seulement :

1°) Tous les magasins seront fermés le dimanche ;

2°) Il ne sera accordé de dérogations que celles absolument indispensables.

S'il y a des réfractaires c'est qu'ils ont peur que les petits commerçants qui n'ont pas d'employés, ou les marchands ambulants, prennent une partie de leur clientèle.

Cet argument n'a pas grande importance car si les colporteurs profitaient de la fermeture des grands magasins pour exercer leur commerce, il suffirait d'un simple arrêté municipal pour interdire leurs opérations.

Les employeurs doivent accorder 24 heures de repos prévues par la loi et, au cas où ils ne voudraient point fermer leurs magasins, je me joindrais à votre président pour dire : "N'achetez pas le dimanche" et surtout n'achetez rien dans les magasins qui ne veulent pas fermer le dimanche.

.../...

Je n'ai pas besoin de vous dire quels efforts il a fallu déployer pour arracher au législateur ce lambeau d'amélioration sociale. Il a fallu vingt ans pour aboutir au vote de la loi sur le repos, loi imparfaite et obscure encore mais qui constitue malgré tout un progrès. Le repos dominical a été posé en principe et il n'a été prévu de dérogations que pour certaines branches d'industrie et de commerce bien déterminées.

Une seule dans notre ville a cru que Monsieur le Préfet portait atteinte à ses droits, c'est aux ouvriers de cette catégorie d'en faire la preuve.

La meilleure façon de frapper les récalcitrants c'est de les atteindre dans leurs intérêts matériels, de boycotter leurs établissements. Quand ils auront compris qu'ils ont devant eux la classe ouvrière solidairement unie, ils n'hésiteront pas à fermer.

Ne restez ni indifférents, ni isolés. Laissez de côté les questions politiques et religieuses pour ne vous occuper que de vos propres intérêts et de ceux de vos camarades car, à côté de l'effort du législateur, il faut que vous puissiez compter sur votre propre effort. Vous y arriverez en constituant des syndicats.

Il semble qu'il y ait, à Poitiers, une prévention contre l'idée syndicale. On croit généralement que les syndicats sont des institutions révolutionnaires alors que, sans préoccupation politique ou religieuse, ils ne recherchent que l'amélioration du bien-être matériel, moral et intellectuel du prolétariat.

Il est de votre devoir, de votre intérêt de vous joindre à vos camarades syndiqués. Je voudrais que ce soir votre jeune syndicat reçoive un grand nombre d'adhésions pour vaincre les résistances des patrons réfractaires.

M. Meunier, président du syndicat de la boulangerie prend la parole en faveur des ouvriers boulangers qui, dit-il, sont les plus déshérités. Il remercie la population poitevine qui a spontanément consenti à manger du pain rassis le dimanche.

M. Meunier explique à son tour la nécessité du repos hebdomadaire.

Il essaie de démontrer que dans la corporation à laquelle il appartient les ouvriers n'ont en réalité que 26 jours de repos par an. M. Aubertie, Inspecteur du travail, réfute aussitôt cette assertion.

Les ouvriers boulangers ont l'après-midi du dimanche plus une journée par roulement tous les quinze jours, ce qui fait exactement 52 jours de repos. D'ailleurs la loi s'est montrée particulièrement accommodante à leur égard en leur accordant le repos par roulement.

Ils sont surmenés et ne peuvent point être astreints au doublage.

M. Meunier dit que la coopérative des chemins de fer, seule d'abord, puis suivie de quelques patrons, a fabriqué du pain le dimanche. Il ajoute qu'il est temps d'intervenir pour que la même règle soit imposée à tous les patrons et propose d'adresser au Parlement un ordre du jour en ce sens.

M. Sellier (...) « II y a quatre mois qu'il est interdit d'employer plus de six jours par semaine. Vous connaissez tous la campagne d'ordre absolument international qui a abouti à cette réforme depuis longtemps attendue, proposée depuis 1900 au congrès de Paris. L'Espagne, la Belgique et l'Allemagne l'ont obtenu et c'est la République française, gouvernement démocratique, qui est resté à l'arrière garde.

Le principe de la loi c'est le repos hebdomadaire du dimanche.

Nous avons longuement insisté sur ce point. Ce n'est pas une considération d'ordre religieux ou confessionnel et il est vraiment extraordinaire que des patrons religieux et pratiquants aient accusé les membres de la Confédération du Travail de faire œuvre de prosélytisme religieux. Il est vrai qu'ils n'ont pas tardé à montrer le bout de l'oreille car le repos par roulement qu'ils préconisaient c'est l'impossibilité du contrôle, c'est la suppression du repos hebdomadaire.

Si nous demandons le repos dominical c'est qu'il est seul efficace pour procurer aux travailleurs le délassement physique et moral, c'est qu'il permet à l'ouvrier, à l'employé, de pouvoir, au moins une fois dans la semaine, retrouver les siens au foyer familial.

Vous devez exiger et obtenir, ouvriers et employés, le repos du dimanche et ne point trop compter sur le législateur. Il s'agit de vous organiser pour lutter car, hier encore, les députés de Paris, réunis, ont déclaré à l'unanimité qu'ils étaient prêts à intervenir pour demander au Parlement des modifications à la loi.

Vous saurez résister et persévérer dans la campagne que vous avez entreprise. La loi ne prévoit que 11 catégories pouvant obtenir le repos par roulement et je suis heureux de pouvoir rendre hommage à M. le Préfet de la Vienne qui a refusé certaines dérogations non fondées.

.../...

Avant de lever la séance le président de la réunion met l'ordre du jour suivant aux voix :

"Les employées, employés et ouvriers de la ville de Poitiers, après avoir entendu les citoyens Georgel, Sellier, Aubertie, Inspecteur du travail, Meunier, Président du syndicat de la Boulangerie et en présence de la campagne du patronat contre la loi sur le repos hebdomadaire ;

"Les ouvriers et employés présents décident :

"1°) d'exiger le maintien intégral et l'application immédiate de cette loi ;

"2°) d'en poursuivre l'extension aux travailleurs indûment exclus, d'accord avec leurs syndicats respectifs.

"Et déclarent que le repos doit être donné à tous les employés et ouvriers le dimanche.

"Comptent sur l'énergie de M. le Préfet et le dévouement de M. l'Inspecteur du travail pour l'application intégrale de la loi.

"Remercient les citoyens Sellier et Georgel de leur dévouement à la cause ouvrière et lèvent la séance aux cris de "Vive le syndicat et vie le repos hebdomadaire pour le dimanche".

La séance est levée à minuit un quart, sans aucun incident.

 

 

le 13/04/2020 à 17:48

Source : L'Avenir de la Vienne

employés de commerce, repos hebdomadaire, fermeture du dimanche, meeting, avocat, patrons

« Retour

Espace Militants v0.3 - UD CGT 86 - http://cgt-ud86.org

Site UD 86 - Espace militants - Espace formation