0501805/04/1961POITIERS
Le syndicat départemental de la CFTC nous prie d’insérer la lettre suivante adressée à M. le Préfet de la Vienne par son secrétaire général.
« Monsieur le Préfet,
« J’ai l’honneur de vous faire connaître les réactions du conseil de l’Union départementale CFTC à la lecture de la lettre adressée le 6 mars par M. Michel Debré à M. Villiers, président du CNPF. Je vous prie de bien vouloir en faire part aux autorités politiques responsables.
Dans cette lettre, M. Debré constate qu’en 1960 il y eut une « hausse constante et sensible » des rémunérations dans le secteur privé. Mais il ajoute que cette hausse a parfois « dépassé les progrès et les profits de la productivité » ; il en résulterait un risque de hausse de prix, ce qui amène le président du Conseil à demander au patronat de limiter à 4 % par an la hausse des salaires. Il assortit d’ailleurs cette recommandation de certaines menaces (contrôle des prix, abaissement des tarifs douaniers).
Menaces sans doute inutiles puisque le directeur du CNPF, dans sa réunion du 14 mars, s’est rallié avec une sorte d’enthousiasme aux thèses du premier ministre. Notre attitude de syndicalistes est toute différente.
1.) Nous estimons, en accord avec le bureau national de notre confédération, que l’intervention de M. Debré viole le principe de la liberté dans la discussion des salaires, principe établi par la loi du 11 février 1950 sur les Conventions collectives.
2.) M. Debré affirme qu’il y a eu en 1960 une amélioration du niveau de vie des salariés. Le CNPF renchérit et déclare que l’année passée a vu « une très forte augmentation du pouvoir d’achat des salariés ».
Ces allégations nous paraissent, hélas, bien trop optimistes. La hausse des salaires est estimée, en moyenne, à 7,1 % en 1960 ; mais la hausse des prix a été, pendant le même temps de 3,9 %. L’amélioration du niveau de vie aurait donc été au maximum de 3,2 %, ce qui, compte tenu de la baisse du pouvoir d’achat en 1958 et 1959, fait au mieux retrouver aux salariés célibataires leur niveau de vie de 1957 ; quant aux familles, elles sont très nettement au-dessous de ce niveau, les augmentations du salaire familial ayant été dérisoires.
Mais ces chiffres sont des chiffres moyens. Dans le département de la Vienne, si défavorisé, la hausse des salaires a été à peu près nulle, alors que le coût de la vie a augmenté au moins autant qu’ailleurs. Si bien que la situation des travailleurs de notre malheureux département va en s’aggravant.
3.) M. Debré demande au patronat de limiter les augmentations de la productivité. Or depuis juillet 1957 la productivité nationale a augmenté de 12 %, alors que les mouvements de salaires les ont amenés, au début de 1961, à leur niveau de 1957. Ce qui conduit les travailleurs à s’interroger sur la distribution du revenu national résultant de l’augmentation de la productivité. Les profits capitalistes se sont eux, toujours améliorés depuis 1957.
4.) En bref, le Conseil de l’Union départementale CFTC estime que la lettre de M. Debré au CNPF a essentiellement pour but :
- De donner au patronat un alibi lui permettant de limiter l’amélioration des salaires et augmenter ses profits ;
- D’enlever aux salariés des secteurs public et nationalisé des arguments pour exiger une augmentation de leurs traitements.
Le Conseil de l’Union départementale CFTC me charge de vous faire part de la profonde amertume des travailleurs de la Vienne appartenant à notre organisation. Amertume d’autant plus grande qu’on nous avait présenté 1961 comme une « année sociale ». Me sera-t-il permis de vous dire, M. le Préfet, qu’instruits par l’expérience, les responsables syndicaux n’avaient guère ajouté foi à ce slogan ?
Dans cette situation le Conseil de l’Union départemental est décidé à soutenir et à organiser les actions revendicatives puissantes que ne manquera pas de susciter le légitime mécontentement des travailleurs, en particulier dans le département de la Vienne. On nous a promis de doubler en vingt ans notre niveau de vie ; le moins que l’on puisse dire est que l’opération a mal commencé.
Veuillez agréer, M. le Préfet, l’assurance de mes très respectueux sentiments syndicalistes.
Poitiers, le 29 mars 1961
Pour le Conseil de l’Union départementale CFTC : le secrétaire, L. Girard
le 09/11/2021 à 19:17
Source : Centre Presse
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