0503725/04/1961POITIERS
Poitiers, après une nuit fébrile dans les services officiels, dont beaucoup de Poitevins ne se rendirent d’ailleurs pas compte, a vécu hier une journée qui, apparemment, ressemblait beaucoup aux lundis ordinaires. La plupart des magasins étaient fermés, mais c’est la coutume ; la circulation était moins dense, mais c’est ainsi tous les débuts de semaine, seulement les visages étaient plus inquiets, les groupes plus nombreux et les mots que l’on saisissait au vol, montraient que l’inquiétude avait même motif.
Cependant, si l’on allait jusqu’à l’aérodrome de Poitiers-Biard, on découvrait un nouvel aspect de la situation. La longue piste était barrée par des véhicules lourds. Une section de CRS, des soldats en armes, assuraient la surveillance du terrain sur lequel les panneaux d’interdiction absolue d’atterrir avaient été placés.
Mobilisés par leurs centrales les responsables des syndicats délibéraient et décidaient une action commune sur le plan local. Pour la concrétiser une délégation se rendait à la Préfecture. Elle était reçue par M. le Préfet.
L’Hôtel de la Préfecture, après les heures tendues de la nuit précédente, avait retrouvé son aspect habituel. C’est à peine si l’on remarquait que le service habituel de garde avait été doublé.
A la mairie calme complet. Aucune réunion du Conseil municipal n’était prévue. Aucune ne fut tenue.
Les débrayages dans les entreprises, les établissements et les bureaux furent très nombreux.
Meeting à la Maison du peuple
C’est à la Maison du peuple, entre 17 et 18 h. 30, que la réaction populaire au coup de force d’Alger revêtit toute son ampleur. Ampleur d’autant plus éloquente que le meeting fut quasi-spontané et qu’il groupa plusieurs milliers de participants emplissant non seulement la salle, la cour mais aussi la rue Arsène-Orillard, aux abords du lieu de réunion.
Ce fut un meeting d’unanimité, puisque siégeaient côte à côte à la tribune, des représentants de la CGT, de FO, de la CFTC, de l’UNEF, de la FEN et des syndicats d’enseignants, de la SFIO, de l’UNR, du PSU, du PC et de la Ligue des Droits de l’Homme.
C’est M. Leroy de la FEN qui présida. Il rappela la situation. Il dépeignit sa gravité. « C’est parce que la République est en danger que vous êtes là pour la défendre. Vous vous considérez comme mobilisés jusqu’au bout ».
Tour à tour les représentants de la CFTC, de la CGT-FO et de l’A.G. des étudiants prirent la parole. Ce dernier dit : « Les 2.000 étudiants de Poitiers, avec toute la jeunesse poitevine, seraient prêts, s’il le faut, à défendre la ville. La vigilance est de rigueur, mais méfions-nous des provocateurs. Syndicalistes nous sommes, syndicalistes nous resterons unis avec vous ».
Le représentant de la CGT parla ensuite. Il mit l’accent sur la nécessité d’armer les volontaires. « Nous avons dit au Préfet : nous sommes prêts à nous battre, mais pour vaincre avec le minimum de pertes, il faut des armes. Les syndicalistes, dit-il encore, ne permettront pas de compromis avec les généraux factieux ; ceux qui se sont rebellés doivent être mis au ban de la nation. Nous demandons encore que tous les grands services publics soient protégés et nous demandons des moyens pour les défendre ; il ne faut pas qu’une seule bombe arrête le téléphone, qu’un seul homme empêche les trains de rouler ».
Il fut ensuite donné lecture de plusieurs motions votées dans les entreprises, que nous nous excusons de ne pouvoir publier. Puis M. Leroy, parlant alors au nom de la FEN, dit comment les enseignants se considéraient comme mobilisés en premier pour la défense de la liberté qui est un fondement même de leur mission. Il dit ensuite que le danger était permanent, qu’aucun point du territoire n’était à l’abri.
« Si nous demandons des armes, ce n’est pas pour nous comporter en partisans sectaires, nous faisons abstraction de nos divergences aussi longtemps qu’il le faudra. Nous avons aussi demandé, nous responsables syndicaux, d’être inscrits sur les listes de volontaires, qui sont ouvertes à la gendarmerie : en tête. Et nous nous sommes engagés à ce que vous soyez nombreux à nos côtés pour défendre la liberté ».
Il demanda ensuite que les éléments douteux soient mis hors d’état de nuire. Il annonça la création d’un Comité permanent de vigilance qui, jour et nuit, sera prêt à répondre à tous les appels.
« Nous avons demandé au gouvernement qu’il prenne des engagements et qu’il les tienne.
« Ce que nous défendons, c’est nos libertés, c’est la République. Nous voulons interdire au fascisme de passer.
La résolution suivante fut alors votée par acclamations.
L’assistance se dispersa ensuite dans le plus grand calme.
La résolution
Les travailleurs républicains de Poitiers réunis le 24 avril 1961 à la Maison du peuple :
- Proclament leur attachement indéfectible à la démocratie et aux institutions républicaines.
- Fermement décidés à barrer la route à toute tentative fasciste de prise de pouvoir, ils exigent du gouvernement la mise à leur disposition de tous moyens utiles pour y parvenir.
- Ils réclament la mise hors d’état de nuire immédiate de tous les éléments factieux.
- Ils demandent à tous les travailleurs de se considérer en état de mobilisation permanente afin que par leur vigilance toute tentative de sabotage ou de subversion soit rendue impossible.
- Ils ne tolèrent pas que les coupables échappent au châtiment que mérite leur rébellion.
- Ils adressent aux jeunes appelés servant en Algérie l’expression de leur entière solidarité et les engagent à refuser de participer au « pronunciamento » et à défendre en Algérie même la légalité républicaine ».
Les partis politiques suivants : Parti communiste Français, MRP, UNR, Parti socialiste SFIO, Parti Socialiste Unifié avaient envoyé des délégations au meeting. Ils ont déclaré apporter leur soutien total aux centrales syndicales engagées dans la lutte contre les factieux et approuvent la motion votée à l’issue de cette manifestation.
le 16/11/2021 à 13:26
Source : Centre Presse
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