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0052301/06/1907POITIERS

LE REPOS HEBDOMADAIRE - EMPLOYES DE COMMERCE - MEETING

Trois cents employés réunis à l'Hôtel de ville votent à mains levées le maintien du statu quo.

La chambre syndicale des employées, employés et comptables de l'industrie et du commerce de Poitiers conviait, ces jours passés, les employées, employés et comptables à se réunir à l'Hôtel de ville, salle des Orphéons, le jeudi 30 mai, à 9 h du soir.

Trois cents employés et employés ont répondu à cet appel.

L'ordre du jour comportait :

1°) Communication des correspondances échangées entre la Préfecture et le syndicat ;

2°) Projet formulé par la Préfecture à étudier et à sanctionner par un vote formel ;

3°) Vote à émettre sur la situation de la loi sur le repos hebdomadaire.

A 9 h 20 M. Caillon, secrétaire du syndicat, fait former le bureau. Sont nommés :

Président, M. Germinet (maison Vannier) ; assesseurs, Mle Désirée Ripault (Galeries Parisiennes) et M. Gravat (Paris- Poitiers) ; M. Touron remplit les fonctions de secrétaire.

.../...

M. Caillon donne lecture de la correspondance qui s'établit entre la Préfecture et le syndicat. Le 15 mars, dit-il, M. le Préfet adressait, au président de notre syndicat, la lettre suivante :

Je vous prie de vouloir bien réunir aussitôt que possible les membres du bureau ou les membres du syndicat dont vous êtes le président afin de désigner parmi les membres de ce groupement un employé pour faire partie de la commission d'enquête organisée en vue d'étudier la répercussion de la fermeture des magasins, le dimanche à Poitiers, sur le commerce de cette ville.

La personne désignée devra être employée d'une maison de détail ouvrant le dimanche avant l'application de la loi sur le repos hebdomadaire.

.../...

Le Préfet de la Vienne, Léon Pommeray.

La commission sera composée ainsi qu'il suit :

- M. le Préfet, ou son délégué, président ;

- MM. les présidents du Tribunal de Commerce et de la Chambre de Commerce ;

- M. l'Inspecteur du travail ;

- Un patron désigné par l'Union commerciale parmi les patrons de maison de détail ouvrant le dimanche avant la loi sur le repos hebdomadaire ;

- Deux patrons désignés par MM. les présidents du Tribunal de Commerce et de la Chambre de Commerce parmi les patrons de maison de détail ouvrant le dimanche avant la loi sur le repos hebdomadaire ;

- Un employé désigné par le syndicat des employés parmi les membres employés de maison de détail ouvrant le dimanche avant la loi sur le repos hebdomadaire ;

- Un employé désigné par l'association des employés parmi les membres employés de maison de détail ouvrant le dimanche avant la loi sur le repos hebdomadaire ;

- Un employé désigné par les deux délégués des associations d'employées, employés de commerce dans une maison de détail ouvrant le dimanche avant la loi sur le repos hebdomadaire.

Le 25 mars le syndicat répondait :

1) qu'il estimait que les employés devaient être choisis sans qu'on s'inquiétât de savoir s'ils appartenaient à telle ou telle maison fermant avant l'application de la loi ou ne fermant pas ;

2) que le nombre de patrons au sein de la commission était plus élevé que celui des employés, le président de la Chambre de Commerce aussi bien que le président du Tribunal de Commerce étant des patrons ;

3) que le régime possible proposé était inapplicable et ne pouvait être accepté par personne.

Le syndicat désigna néanmoins ses délégués.

M. Caillon fait connaître le « régime possible » proposé par M. le Préfet. Voici comment est établi ce régime :

La moitié du personnel a le dimanche complet, l'autre moitié travaille jusqu'à midi et se repose de dimanche midi à lundi midi.

Mois de morte saison pendant lesquels les magasins sont fermés toute la journée du dimanche : du 15 janvier au 31 mars, du 15 juin au 30 septembre.

Repos à partir du midi (comme ci-dessus) les jours de fête suivants : 1er janvier, lendemain de Pâques, lendemain de Pentecôte, Ascension, fête nationale, Assomption, Toussaint, Noël.

Repos complet: Pâques et Pentecôte.

Heures de repos (global) accordées à tout le personnel : 8 demi journées de 8 heures (midi à 8 heures) soit 64 heures.

Demi journées de fêtes locales (2 derniers dimanches de décembre, 1er dimanche de janvier, dimanche qui suit le 18 octobre) 4 x 8 = 32 ; total 96 heures.

Heures demandées : 23 demi dimanche à 5 heures chacun, 23 x 5 = 115 heures à la moitié du personnel et avec compensation immédiate de la matinée du lundi;

.../...

M. Germinet dit que le chiffre d'affaires n'a pas baissé, que s'il en était autrement les employés seraient les premiers à s'en plaindre, à chercher à y porter remède, car tous, ou presque tous, bénéficient de la « guelte ». Il est persuadé que les patrons sont enchantés de pouvoir, eux aussi, se reposer le dimanche « sauf deux ou trois peut être, ajoute-t-il, qui veulent traiter les employés en parias ». On applaudit.

Si nous acceptions la proposition qui nous est faite, camarades, poursuivit M. Germinet, dans quinze jours nous verrions les patrons nous en soumettre une nouvelle. On applaudit.

M. Germinet proteste de toutes les forces de son être contre -les pressions que certains patrons ont exercées sur leurs employés pour les amener à demander la réouverture des magasins le dimanche ».

.../...

M. Aubertie, Inspecteur du travail, demande la parole. Il est aussitôt très vivement applaudi. Pourtant dans un instant, quand il donnera « aux camarades les conseils que lui dicte sa conscience et que lui inspire son amitié pour les employés de commerce » son succès sera moins considérable. Mais cela ne saurait entamer, évidemment, la sympathie vive qu'ont pour M. l'Inspecteur du travail les auditeurs même les plus bruyants.

L'orateur croit qu'il serait bon de ne pas prendre une résolution définitive avant d'avoir examiné tous les côtés de la question. Il pense qu'une conversation est possible entre les employés et les patrons, soit sur les bases de la proposition, soit sur des bases nouvelles. Il est des gens, dont la situation est extrêmement intéressante, qui n'ont pas droit encore au repos hebdomadaire, ce sont les garçons de magasin. Leur travail est pénible, plus que celui de leurs camarades employés. Ceux-ci ne pourraient-ils pas saisir l'occasion qui se présente pour leur faire obtenir un repos hebdomadaire de 24 heures ?

Qu'avant d'engager des pourparlers les employés disent aux patrons : "nous voulons d'abord un jour de repos par semaine pour nos camarades garçons de magasin" et puis qu'ils consentent ensuite les sacrifices qui seront nécessaires à l'obtention de ce repos. Il y aurait lieu, ici, à une sorte de marchandage. Les employés pourraient accorder un peu aux patrons pour que ceux-ci accordent beaucoup aux garçons de magasin. Ce serait là un bel acte de solidarité ouvrière.

.../...

M. Limousin, secrétaire général de la Bourse du Travail, dit que dans le projet de la Préfecture il n'est pas question des garçons de magasin. Le projet que soutient le camarade Aubertie est illégal. Il n'a pas été prévu par la loi. Les patrons vous diront que la loi ne leur impose, en ce qui concerne les garçons de magasin, qu'une demi-journée de repos par semaine, qu'ils n'ont pas à accorder davantage.

.../...

M. Limousin se demande comment il serait possible à l'Inspecteur du travail, si la proposition de M. le Préfet était acceptée, de veiller à l'observation des engagements pris. - "Nous devons sans doute, dit le dévoué secrétaire général de la Bourse du Travail, lutter pour que les garçons de magasin soient admis à bénéficier de la loi, mais sans rien abandonner de nos droits ». (Applaudissements prolongés, cris de « Vive Limousin ! »).

.../...

Pour empêcher la concurrence de maison à maison et même de ville à ville, M. Gravat demande la fermeture générale obligatoire de tous les magasins le dimanche. - C'est aller un peu loin -.

M. CAILLON. - Nous nous souvenons des luttes que nous avons soutenues il y a quelques années. Si nous acceptions le projet nous retournerions sur nos pas. Le régime proposé est inacceptable. Il ne serait profitable qu'à quelques négociants, oiseaux de proie aux pattes crochues, qui s'accrochent à la dernière circulaire du Ministre du travail. (Applaudissements prolongés).

.../...

M. AUBERTIE. - On vous a parlé de tel ou tel patron qui a dit ceci, de tel patron qui ne pourra accepter cela, mais vous n'avez pas, ici, à défendre les intérêts de vos patrons. Vos patrons sauront les défendre eux-mêmes. Je crois, moi, qu'ils refuseront le régime qu'on vous propose. Vous n'avez rien à redouter d'une conversation. Si vous refusez les premiers vous aurez ce refus sur la conscience.

L'auditoire ne veut plus rien entendre. Il manifeste tumultueusement. Chacun parle de sa place et s'agite violemment. Seules les dames conservent l'attitude calme des grands penseurs (...)

.../...

M. SILBERSCHMIT. - Il y a cinq ans les patrons ne pouvaient fermer les magasins à deux heures de l'après-midi, le dimanche, pendant quatre mois seulement de l'année. Ils étaient de bonne foi ... Aujourd'hui il ne leur est pas possible d'accepter le régime que leur propose la Préfecture ... (Applaudissements).

M. Georgel, avocat-conseil de la Bourse du Travail ne partage pas le sentiment de M. Aubertie et ne le cache pas. Il dit pour quelles raisons les employés doivent refuser le régime qu'on leur propose. Ces raisons sont au nombre de trois : raison d'ordre moral, raison de composition de la Commission et raison de fond.

M. Georgel développe ensuite, avec talent, ces trois points principaux.

Il termine par ces mots : «Les patrons veulent saboter la loi et faire du bluff. Vous vous opposerez à ce sabotage et à ce bluff !» .../...

L'ordre du jour.

Le président met ensuite aux voix l'ordre du jour suivant qui est adopté à l'unanimité :

"Les Employés de commerce de Poitiers, syndiqués et non syndiqués, réunis à l'Hôtel de ville, salle des Orphéons, au nombre de 300, après avoir entendu lecture de la correspondance échangée entre la Préfecture et les associations d'employés ; après avoir entendu les camarades Germinet, Aubertie, Inspecteur du travail, Limousin, Gravat, Silberschmit, Georgel et Caillon ; repoussent la proposition faite sur le régime possible ; décident de grouper leurs efforts pour conserver intact le régime actuel et donnent mandat à leurs délégués de défendre, avec la dernière énergie, le maintien du statu quo et de tenter auprès du Ministre du travail une amélioration du sort des garçons de magasin qui exercent, à tous points de vue, un travail des plus pénibles"

Et lèvent la séance aux cris de « Vive le repos du dimanche ».

.../…

 

 

le 16/04/2020 à 14:47

Source : L'Avenir de la Vienne

commerce, employés, conférence, patrons, commissions

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