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0777906/04/1972POITIERS

LA CONDITION DES TRAVAILLEURS IMMIGRÉS DANS LA RÉGION POITOU-CHARENTES

Vue par des syndicalistes et un jeune enseignant

Près de vingt mille « étrangers » ont - volens nolens - établi domicile dans notre région. Dans le département de la Vienne, ils sont mille huit cents, environ, à travailler sur les chantiers, dans les usines ou dans les champs, dans des conditions qui sont loin d’être favorables. Aujourd'hui, nous versons deux nouvelles pièces au dossier des travailleurs immigrés, que nous ouvrons périodiquement. Dans la première étude des syndicalistes appartenant à la CFDT et membres de l’Association de solidarité avec les travailleurs immigrés de Poitiers parlent de « racisme ». La seconde est le résumé d’un mémoire de maîtrise de géographie, rédigé par un étudiant de la faculté des Lettres de Poitiers, sous la direction du professeur Jean Pitié, M. Michel Chaumet, licencié en lettres. Celui-ci tente une approche scientifique du problème.

La CFDT : « Ce sont les moins protégés »
Un professeur : « Des mesures d’accueil doivent être prises »

Les 1.800 immigrés de notre région (Algériens, Tunisiens, Marocains, Portugais, Espagnols, Turcs), employés généralement dans le bâtiment, l'industrie et l'agriculture, font les travaux les plus durs pour les salaires les plus proches du SMIC (4,04 F dans une usine importante de Poitiers). Dans le Montmorillonnais, des bergers, sous prétexte qu’ils sont nourris et logés, touchent 15.000 anciens francs par mois. L'immense majorité ne vit qu’à coup d'heures supplémentaires. Une entreprise, l’an dernier, à Poitiers, a fait faire, au mépris de toute loi, jusqu'à 72 heures par semaine.

Ces travailleurs, qui sont les plus exploités, sont aussi les moins protégés par les lois sociales. Ils versent les mêmes cotisations que les Français et leurs familles, si elles ne résident pas en France, ne touchent aucune allocation sérieuse. Mis à part les Algériens, ils ne peuvent être ni délégués du personnel, ni membres du Comité d'entreprise, ni délégués syndicaux ; à la moindre réclamation, ils peuvent être licenciés sans la moindre formalité et certains patrons de la Vienne ne s’en sont pas privés. Certes, en raison de la semaine intersyndicale qui vient d'avoir lieu en leur faveur, M. Fontanet s'est senti obligé de promettre un projet de loi concernant « la représentation des travailleurs immigrés ».

Le logement, sans atteindre le scandale visible des taudis et des bidonvilles des très grandes villes, est significatif, dans la région de Poitiers, de l’exploitation silencieuse des travailleurs dans leurs conditions de vie. 150 F pour une minuscule chambre non chauffée dans le centre de Poitiers. Un couple et trois enfants dans une seule pièce, pour 200 F., attendant depuis 6 mois un logement décent. Huit travailleurs payant, chacun, 82 F. dans un grenier avec des lavabos pour se loger. Ces conditions sont, en fait acceptées par une opinion silencieuse, qui masque son racisme dans l’indifférence. Il est très difficile pour un Portugais, un Algérien ou un Tunisien de trouver un logement, car on n’accepte pas d’étrangers. Ailleurs c’est dans un café que l’on refuse de servir des travailleurs nord-africains.

Démunis, désorientés dans une formation professionnelle et dans quelles conditions. L’alphabétisation est réalisée d’ailleurs par des bénévoles, mais, au-delà, il n’y a aucun effort de fait pour la promotion professionnelle. On cantonne volontairement les travailleurs immigrés dans les travaux refusés par les autres.

Les conditions lamentables de logements, le racisme latent ou affiché ne sont pas seulement des actualités de la région parisienne. C’est à Poitiers qu’en sont victimes les « coopérants à rebours », c’est des Poitevins aussi que dépend l’accueil réservé à ces étrangers parmi nous... ville qui les ignore, qui les parque, les travailleurs immigrés n’ont guère à espérer des pouvoirs publics. Un seul centre de (… ??)

L’immigration dans le Poitou-Charentes a commencé à la fin du siècle dernier (alors que la région connaissait le début de l’exode vers Paris) et s’est amplifiée au cours du XXe siècle et cela en liaison avec les phases d’essor économique (1919-1931 et 1945-1971). Il s’est donc produit une augmentation sensible du nombre d’immigrés dans la région. En 1951, ils n’étaient que 2.300 pour les quatre départements de la Charente, de la Charente-Maritime, des Deux-Sèvres et de la Vienne, alors que, en 1969, on en dénombrait 16.892. Mais l'accroissement de l’effectif étranger ne s’est pas produit de manière continue et régulière, puisqu’il a été interrompu au cours de la deuxième guerre mondiale et lors des périodes de crise économique (grande crise de 1931-1938, récession de 1964-1965), Ceci permit de penser que, dans une période proche et si les difficultés économiques actuelles se poursuivent, le nombre des immigrés risque de baisser (1).

L’apport des pays sous-développés

La très grande majorité des étrangers embauchés dans la région provient de pays sous-développés ou peu développés (80 pour cent du total), mais plus particulièrement des pays de la zone méditerranéenne (76 pour cent du total). Mais, contrairement à ce qui se passe dans l’ensemble de la France, ce ne sont pas les Nord-Africains qui jouent un rôle prédominant dans le Poitou-Charentes, car, en pourcentages, les Portugais sont plus nombreux dans la région que dans l’ensemble de la France. L’attrait ainsi exercé sur les Portugais s’explique par la proximité relative par rapport au Portugal, mais aussi par l’importance des métiers du bâtiment dans la région.

La spécialisation des travailleurs étrangers

D’ailleurs, c’est une tendance importante chez les travailleurs immigrés que la concentration dans certaines branches d'activités ainsi, 58 pour cent d'entre eux travaillent dans l’industrie et les travaux publics, contre seulement 29 pour cent pour la population indigène régionale.

Et, même à l’intérieur de ce secteur d'activité (l’industrie), on constate une spécialisation étrangère dans les professions du bâtiment (58 pour cent de la main-d’œuvre du secteur industriel) et des constructions mécaniques (12 pour cent de ce même secteur), celles pour lesquelles la main-d’œuvre française fait le plus cruellement défaut, car le travail y est souvent pénible et mal rémunéré.

En définitive, il semble que, pour certains, les immigrés ont pratiquement remplacé les ouvriers français, du moins parmi les manœuvres et les ouvriers spécialisés. A ce titre, on peut dire qu’ils forment le sous-prolétariat de la région.

Le sous-prolétariat immigré

Le manque de qualification de la main-d’œuvre immigrée est évident lorsque l’on sait que 74 pour cent d’entre eux sont manœuvres ou O.S. Et ce n’est pas le centre de La Rye (commune du Vigeant, Vienne), spécialisé dans la formation des étrangers pour l’ensemble de la France, qui peut améliorer la situation, puisqu’il n’accueille que quelques centaines de stagiaires par an.

La conséquence en est des salaires faibles, qui imposent des conditions de vie fort précaires à ces étrangers, qui, le plus souvent, doivent nourrir une nombreuse famille, restée à l’étranger ou installée en France : certains quartiers de taudis (Angoulême) ou des bidonvilles (La Rochelle), de même que les baraquements de chantiers dans chacun des chefs-lieux de la région) sont peuplés de ces misérables.

Une nouvelle politique

En définitive, il apparaît qu’il existe un profond déséquilibre entre l’importance des services rendus à la région par les étrangers (qui assurent la survie d’un secteur aussi essentiel que le bâtiment) et l’extrême indigence dans laquelle notre société les contraint de vivre ; ce déséquilibre est si grave qu’on peut le qualifier d’injustice.

Aussi, de profondes améliorations doivent être apportées à la situation matérielle des immigrés et, pour cela, il convient de préparer une nouvelle politique d’aide et de formation.

Pourquoi ne pas créer des centres de formation adaptés aux besoins de la région ? Pourquoi ne pas instituer des cours gratuits et obligatoires d’alphabétisation et de français, pris sur les horaires habituels de travail ? Pourquoi ne pas verser une allocation qui permette aux familles de venir s’installer en France, auprès du père ?

Ceci ne contribuerait pas qu’à l’amélioration de la vie quotidienne des immigrants mais servirait le développement de la population française, aujourd'hui menacé.

Cependant il est vain de penser que la société française, telle qu’elle est organisée actuellement, puisse prendre de telles mesures. Car, s’il en était ainsi, il ne serait pas nécessaire de les proposer, elles seraient déjà appliquées.

(1) Les mesures de restriction de l’immigration annoncées récemment par le ministre du Travail, vont dans ce sens. On peut d’ailleurs douter de l’efficacité de telles mesures car les étrangers sont employés dans des métiers que les Français boudent.

Michel Chaumet

Photo : Les travailleurs immigrés, en majorité nord-africains et des Portugais, trouvent surtout du travail dans le bâtiment

 

 

le 21/11/2022 à 16:15

Source : Centre Presse

statistiques, émmigrés

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